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Ainsi la plus élevée des sphères, celle du firmament étoilé, dont la course est la plus rapide de toutes, fait entendre un son éclatant et aigu, tandis que l’orbe inférieur de la lune murmure un son grave et sourd : pour la terre, elle demeure immobile au centre du monde, invariablement fixée dans ce profond abîme. Les huit globes intermédiaires, parmi lesquels Mercure et Vénus ont la même vitesse, produisent sept tons sur des modes différents, et ce nombre qui les règle est le nœud de presque toutes choses. Les hommes qui ont su imiter cette harmonie par les sons de la lyre et les accords de la voix se sont ouvert la route vers ces régions célestes, leur ancienne patrie, aussi bien que tous les nobles génies qui ont fait luire au milieu des ténèbres de la vie humaine quelque rayon de la lumière divine. Mais les oreilles des hommes remplies de cette harmonie, ne savent plus l’entendre, et véritablement vous n’avez pas de sens plus imparfait que celui-là, vous autres mortels. C’est ainsi qu’aux lieux où le Nil se précipite des plus hautes montagnes, près de ces cataractes, comme on les nomme, des peuplades entières assourdies par ce fracas terrible ont perdu le pouvoir d’entendre. L’éclatant concert du monde entier est si prodigieux, que vos oreilles se ferment à cette harmonie, comme vos regards s’abaissent devant les feux du soleil, dont la lumière perçante vous éblouit et vous aveugle. — Dans le ravissement où me jetait ce langage, je reportais cependant quelquefois mes regards sur la terre.

XIV. Je le vois, dit l’Africain, tu contemples encore la demeure et le séjour des hommes. Mais si la terre te semble petite, comme elle l’est en effet, relève tes yeux vers ces régions célestes ; méprise toutes les choses humaines. Quelle renommée, quelle gloire digne de tes vœux, peux-tu acquérir parmi les hommes ? Tu vois quelles rares et étroites contrées ils occupent sur le globe terrestre, et quelles vastes solitudes séparent ces quelques taches que forment les points habités. Les hommes, dispersés sur la terre, sont tellement isolés les uns des autres, qu’entre les divers peuples il n’est point de communication possible. Tu les vois semés sur toutes les parties de cette sphère, perdus aux distances les plus lointaines, sur les plans les plus opposés : quelle gloire espérer de ceux pour qui l’on n’est pas ?

XV. Tu vois ces zones qui paraissent envelopper et ceindre la terre ; les deux d’entre elles qui sont aux extrémités du globe, et qui de part et d’autre s’appuient sur les pôles du ciel, tu les vois couvertes de frimas ; la plus grande de toutes, celle qui est au milieu, est brûlée par les ardeurs du soleil. Deux seulement sont habitables : la zone australe où se trouvent les peuples vos antipodes, et qui est tout entière un monde étranger au vôtre ; et celle où souffle l’aquilon, et dont vous ne couvrez encore qu’une si faible partie. Toute cette région que vous habitez, semblable à une bande étendue, mais étroite, forme une petite île, baignée par cette mer que vous appelez l’Atlantique, la grande Mer, l’Océan ; et, malgré tous ces grands noms, tu vois que c’est à peine un lac médiocre. Mais au milieu même de ces terres connues et fréquentées par les hommes, dis-moi si ton nom ou celui de quelqu’un de nous a jamais pu voler au delà du Caucase, ou franchir les flots du Gange ? Aux extrémités de l’orient et du couchant, aux derniers confins du septentrion et du midi, quel homme entendra jamais prononcer