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avoir à l'avance de la certitude d'un fait, sans, pour cela, qu'il se rattache à une série infinie de causes naturelles. Aussi Carnéade affirmait-il qu'Apollon lui-même ne pouvait prédire d'autres événements que ceux dont l'ordre de la nature comprend les causes, et qui doivent en être le résultat nécessaire. A quelles marques ce dieu aurait-il pu reconnaître que Marcellus, qui fut trois fois consul, devait périr dans la mer? Cet événement était vrai de toute éternité, mais il n'avait pas de cause déterminante dans l'ordre de la nature. Carnéade allait jusqu'à dire qu'Apollon ne pouvait connaître le passé, quand il n'en restait plus de traces; à plus forte raison l'avenir lui était-il impénétrable. Comment savoir ce qui doit arriver, ajoutait-il, si on ne lit l'avenir dans les causes qui le préparent? Apollon n'a donc pu prédire le parricide d'OEdipe, car il n'y avait dans la nature des choses aucune cause essentielle en vertu de laquelle il dût nécessairement donner la mort à son père; en un mot, Apollon n'a pu faire aucune prédiction de ce genre.

[15] XV. Ainsi donc si les Stoïciens, qui admettent la fatalité universelle, doivent, pour être conséquents, croire à de tels oracles et à tout le cortège de la divination, tandis que ceux pour qui les événements futurs sont vrais de toute éternité, peuvent se soustraire à ces conséquences ; n'est-il pas évident que ces derniers sont dans une condition bien meilleure que les Stoïciens? Ceux-ci sont étroitement pressés; ceux-là au moins peuvent respirer et trouver plus d'une issue. Ils accordent sans doute que rien ne peut se faire sans une cause suffisante; mais le Destin n'y gagne rien, si cette cause ne doit point être rattachée à la série sans fin des causes naturelles. La cause est ce qui produit véritablement son effet : par exemple, une blessure est cause de la mort; l'indigestion, de la maladie; le feu, de la chaleur. Il ne faut point entendre par cause tout ce qui précède un fait, mais seulement ce qui le précède d'une manière efficiente. Je vais au champ de Mars, mais ce n'est point là la cause qui me fait jouer au jeu de paume; Hécube n'est pas cause de la ruine de Troie, parce qu'elle met au monde Pâris; Tyndare n'est pas cause du meurtre d'Agamemnon, parce qu'il engendre Clytemnestre. A ce compte, un voyageur bien vêtu serait cause qu'un brigand va le dépouiller. On peut mettre dans la même famille ces vers d'Ennius : «Plût au ciel que sur le mont Pélion la hache n'ait jamais abattu le pin navigateur !» Il pouvait remonter plus haut : «Plût au ciel que le mont Pélion n'eût jamais porté d'arbre! » plus haut encore : «Plût au ciel qu'il n'y eût jamais eu de mont Pélion !» Il pouvait enfin remonter de proche en proche à l'infini. Continuons : «Et que le premier vaisseau, sorti de ces forêts, n'eût jamais paru sur les flots ! ---» A quoi bon rappeler ces anciens événements? parce qu'ils précèdent cette triste aventure: «Sans eux Médée, ma triste maîtresse, n'aurait point fui la maison paternelle, l'esprit déchiré, blessée au coeur par ce cruel amour; » mais évidemment, ce ne sont pas là les causes de l'amour de Médée.

[16] XVI. Les partisans de Diodore disent qu'il faut reconnaître une grande différence entre le fait qui est seulement la condition de l'existence d'un autre fait, et celui qui détermine nécessairement cette existence. On ne peut appeler cause ce qui ne produit pas, par sa propre vertu, l'effet dont il est réputé cause; on ne peut donc appeler