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de cette maladie, appelez un médecin ou n'en appelez pas, vous guérirez. Par la même raison, si votre destinée est de ne point guérir de cette maladie, appelez un médecin ou n'en appelez pas, vous ne guérirez point. Or, il est évident que l'un ou l'autre est dans votre destinée. Il est donc inutile d'appeler un médecin.»

[13] XIII. C'est avec raison qu'on a nommé cet argument le sophisme paresseux, parce que, en vertu du même principe, on supprime absolument toute action. On peut même, sans parler du Destin, mais sans rien ôter à la force de l'argument, le proposer de cette sorte : «Si de toute éternité il est vrai que vous devez guérir de cette maladie, appelez le médecin ou ne l'appelez pas, vous guérirez. Et, par la même raison, s'il est vrai de toute éternité que vous ne guérirez pas de cette maladie, appelez le médecin ou ne l'appelez pas, vous ne guérirez point;» et la suite. Chrysippe réfute ce sophisme. Il y a, dit-il, des choses simples, il en est d'autres naturellement liées. Si je dis : «Socrate mourra tel jour, » je parle d'un fait en lui-même, simple, isolé. Socrate n'a rien à faire, rien à éviter, il mourra certainement ce jour-là. Mais si l'on dit à l'avance : «OEdipe naîtra de Laïus,» on ne peut ajouter «que Laïus ait ou non commerce avec une femme;» car les deux choses sont nécessairement liées, et Chrysippe les appelle confatales; car on déclare à la fois que Laïus aura commerce avec sa femme, et que de ce commerce OEdipe naîtra. C'est comme si l'on disait : «Milon luttera aux jeux Olympiques,» et que quelqu'un reprît : «Ainsi, soit que Milon ait un adversaire, soit qu'il n'en ait point, il luttera ,» il serait dans l'erreur; quand on dit : «il luttera,» c'est une de ces propositions que nous appelons liées, car il n'y a pas de lutte sans adversaires. Tous les sophismes de ce genre se réfutent par la même distinction. Appelez le médecin, ou ne l'appelez pas; pur sophisme; car l'appel du médecin est tout autant que la guérison dans l'arrêt de la destinée. Ce sont là des conditions nécessaires, que Chrysippe, comme je l'ai dit, appelle confatales.

[14] XIV. Carnéade n'approuvait nullement les arguments de ce genre, et pensait que ce fameux sophisme était fort inconsidéré. Il attaquait les Stoïciens d'une autre manière, sans recourir à aucune subtilité. Voici comment il raisonnait : «Si tout arrive en vertu de causes externes et efficientes, tous les événements sont enchaînés naturellement dans un tissu que rien ne peut rompre. S'il en est ainsi, la nécessité produit tout. Mais alors rien n'est en notre pouvoir. Or, il y a certainement quelque chose en notre pouvoir. Mais tout serait déterminé par des causes externes et efficientes, si tout arrivait fatalement. Donc tout ce qui se fait ne se fait point fatalement. » Il est impossible de donner à ce raisonnement une forme plus pressante. Supposez que l'on veuille retourner l'argumentation, et dire : «Si tout événement futur est vrai de toute éternité, en cette sorte que tel il doit arriver, tel il arrivera certainement, il faut en conclure que tout ce qui se fait est le résultat nécessaire d'une série de causes naturellement enchaînées;» on ne prouverait absolument rien. Il y a une grande différente entre une série de causes naturelles qui, de toute éternité, rendent certain un événement futur, et la connaissance fortuite que l'on peut