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même question, et que tous les événements, ou presque tous, arrivent par hasard, fortuitement, sans motif assignable, les choses se passeraient-elles autrement qu’elles ne se passent maintenant ? À quoi bon le Destin, quand on peut, sans y recourir, expliquer toutes choses ou par la nature ou par le hasard ?

[4] IV. Mais en voilà assez sur le livre de Posidonius ; il nous serait peu bienséant d’en poursuivre trop loin la critique — revenons aux piéges de Chrysippe. J’attaquerai d’abord le fameux chapitre de la sympathie, et je prendrai ensuite chacun des autres à partie. Nous voyons combien il y a de différence entre les climats ; les uns sont salubres, les autres pestilentiels ; ici l’on rencontre des tempéraments lymphatiques ; les humeurs regorgent ; plus loin, il n’y a que maigreur et sécheresse. On n’aurait jamais signalé toutes ces variétés de climat. À Athènes, l’air est vif, et l’on croit que c’est ce qui donne tant d’esprit aux Athéniens ; à Thèbes, il est épais, et les Thébains sont lourds et robustes. Cependant ce n’est pas cet air vif qui amènera un disciple à Zénon, à Arcésilas ou à Théophraste, et cet air épais n’engagera pas un athlète à rechercher plutôt la victoire à Némée qu’aux jeux Isthmiques. Imaginez tout ce que vous voudrez, vous ne parviendrez pas à me prouver que c’est l’influence des lieux qui me fait promener sous le portique de Pompée plutôt qu’au champ de Mars, avec vous plutôt qu’avec tout autre, aux ides, et non pas aux kalendes. La nature des lieux a donc une certaine influence, mais qui est incontestablement restreinte ; il en est de même de l’influence des astres ; je vous accorderai, si vous le voulez, qu’on en voit quelques effets, mais très certainement elle ne s’étend pas à toutes les choses humaines. Mais, nous dit Chrysippe, ne remarquez-vous pas combien les goûts et les caractères des hommes offrent de variété ? les uns aiment ce qui est doux, les autres ce qui a un peu d’amertume ; les uns sont voluptueux, colères, cruels, présomptueux ; les autres ont pour ces vices un éloignement naturel. Ainsi donc, puisque d’homme à homme l’on trouve tant de différences, n’est-il pas conséquent de rapporter tous ces tempéraments divers à des causes opposées ?

[5] V. Ce raisonnement de Chrysippe prouve qu’il ne comprend pas de quoi il s’agit, et quelle est la position de la question. Car, de ce que les hommes éprouvent certaines inclinations déterminées par des causes naturelles et précédentes, il ne s’ensuit pas que nos volontés et nos impulsions propres soient déterminées par de semblables causes. S’il en était ainsi, rien ne serait en notre pouvoir. Nous avouons qu’il ne dépend pas de nous d’avoir l’esprit fin ou épais, d’être débiles ou robustes ; mais qui voudrait conclure de là qu’il n’est pas même en notre pouvoir de nous asseoir ou de nous promener, prouverait qu’il ne sait ce que c’est que de tirer une conséquence. Car s’il est vrai que des causes naturelles nous rendent ingénieux ou lourds d’esprit, forts ou débiles, il ne s’ensuit en aucune sorte que des causes irrésistibles nous déterminent à nous promener ou à nous asseoir, par exemple, et règlent à l’avance toutes nos actions. Stilpon, ce philosophe mégarique, était, à ce que l’on nous rapporte, un homme fort ingénieux, et jouissait, de son temps, d’une assez belle renommée. Nous pouvons voir, dans les propres écrits de ses amis, qu’il éprouvait une vive inclination pour le vin et les femmes ;