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TUSCULANES, LIV. III.

de la plupart des événements, la surprise seule n’est point ce qui cause la tristesse. L’effet de la surprise est uniquement de faire paraître le malheur plus grand ; et cela pour deux raisons. Premièrement, parce qu’elle ne donne pas le loisir d’apprécier le mal. En second lieu, parce qu’on s’imagine qu’en le prévoyant, on aurait pu s’en garantir ; et ce manque de prévoyance, qu’on se reproche comme une faute, devient un surcroît de chagrin. Une preuve de ce que nous disons, c’est qu’à mesure que le temps s’éloigne, le chagrin diminue, et même se passe quelquefois entièrement, quoique l’objet qui l’avait fait naître subsiste toujours. Après la prise de Carthage, après la défaite du roi Perses, on a vu à Rome grand nombre de Carthaginois et de Macédoniens dans l’esclavage. Moi-même étant jeune, j’ai trouvé encore dans le Péloponèse beaucoup de Corinthiens dans la même situation. Ils avaient pu s’écrier autrefois, comme Andromaque : Enfin j’ai tout perdu. Mais alors ils avaient déjà bien changé de ton ; et à leurs visages, à leurs discours, à leurs manières, on les aurait pris pour des Argiens, ou des Sicyoniens : en sorte que je fus beaucoup plus frappé en voyant les ruines de Corinthe, que ne l’étaient les Corinthiens eux-mêmes, dont l’âme avec le temps s’était accoutumée, et pour ainsi dire, endurcie à la douleur. J’ai lu le livre qu’écrivit Clitomaque aux Carthaginois ses concitoyens, pour les consoler sur leur captivité, et sur la ruine de leur patrie. On y trouve une dissertation entière de son maître Carnéade contre cette proposition, Que le chagrin a prise sur le sage qui voit sa patrie au pouvoir de l’ennemi. Une partie des choses qu’il dit pour fortifier les affligés contre une calamité présente, n’aurait pas été nécessaire contre une adversité invétérée : et si ce même livre avait été envoyé aux Carthaginois quelques années après, il aurait trouve dans leurs cœurs moins de plaies à guérir, que de cicatrices à effacer. Car le chagrin, par un décroissement insensible et imperceptible, s’affaiblit de lui-même en vieillissant : non qu’il arrive aucun changement à la chose qui en a fait le sujet : mais ce que la raison aurait dû nous apprendre, l’expérience nous l’enseigne, que les malheurs de la vie sont en effet beaucoup moins grands qu’ils ne le paraissent d’abord.

XXIII. À quoi sert, cela étant, de raisonner contre le chagrin, et de représenter, comme c’est l’usage pour consoler quelqu’un qui souffre, qu’il n’arrive rien qui n’ait dû être prévu ? Sa douleur en deviendra-t-elle plus supportable, quand il saura que l’homme ne peut éviter de pareils accidents ? Une telle réflexion n’ôte rien de la force du mal. Elle persuade seulement qu’il n’est rien arrivé à quoi l’on n’ait dû s’attendre. J’avoue que cette espèce de consolation, quoiqu’elle ne soit pas inutile, n’est pas toujours efficace. La surprise où nous jette un accident imprévu n’est donc pas l’unique cause de la tristesse qui s’empare de nous. Peut-être que le coup en est plus rude : mais si le mal paraît grand, c’est plutôt pour être récent que pour n’avoir pas été prévu. Il y a deux routes dans la recherche de la vérité, tant à l’égard des maux, qu’à l’égard des biens. Ou l’on examine la nature et la qualité de la

mentius. Sed non sunt in hoc omnia : qnanquam lioslium repens adventus magis aliquanto conturbat, quam exspectatus : et maris subita tempeslas, quam aille provisa, terret navigantes vehemenlius : et ejusmodî sunt pleraque. Sed cum diligenter necopinatoium naturam considères, nihil aliud reperias, nisi omnia subita videri majora, et quidem ob duas causas : primum, quod, quanta sint quœ accidunt, considerandi spatium non datur : deinde cum videtur prœcaveri potuisse, si provisuni esset, quasi culpa contractum malum rcgriludinem acriorem facil. Quod ila esse dies déclarât : quœ proredens ita miligat, ut iisdem nialis manentibus non modo leniatur œgritudo, sed in pierisque tollatur. Carthaginienses multi Romœ servierunt, Macedones rege Perse capto. Vidi etiam in Peloponneso, cum essem adolescens, quosdam Corintliios. Ili poterant omnes eadem illa de Andromacha deplorare : Haec omnia vidi.

Scd jam decantaveranl fortasse. Eo enim erant vultu, oratione, omni reliquo motu, et statu, uteos Argivos, aul Sicyonios diceres : magisque me moverant Corinthi subito aspectœ parietinœ, quam ipsos Corintliios : quorum animis diuturna cogitatio callum vetustatis obduxerat. Legimus librum Clitomacbi, quem ille eversa Cartliagine niisit consolandi causa ad captivos cives suos. In eo est disputalio scripta Carneadis : quam se ait in commentarium rctulisse. Cum ita positum esset, Videri fore in aegritudine sapientem, patria capta : quœ Carneades contra dixerit, scripta sunt. Tantaigitur calamitalis prœsentis adhibetur a philosopho medicina, quanta in invetei ata ne desideratur quidem. Nec si aliquot annis post idem ille liber captivis inissus esset, vulneribus mederetur, sed cicatricibns. Sensim enim et pedetentim progrediens extenuatur dolor : non quo ipsa res immutari soleat, aut possit : sed id, quod ratio debuerat, usus docet, minora esse ea, quœ sint visa majora.

XXIII. Quid ergo opusest, dicet aliquis, ralione, aut omnino consolatione illa, qua solemus uti, cum levare dolorem mor’rentium volumus ? Hœc enim feretum habemus in promptu, nihil oportere inopinatum videri. Aut qui tolerabilius feret incommodiim, qui cognoverit, necesse esse homini taie aliquid accidere ? Hœc enim oratio de ipsa summa mali nihil delrahit : tantummodo affert, nihil evenisse, quod non opinandum fuisset. Neque tamen genus id oiationis in consolando non valet : sed id baud sciam an pluiïmum. Ergo ista necopinata non habent tantam vim, ut œgritudo ex his omnis oriatur. Feriunt enim fortasse gravius : non id ef’liciunt, ut ea, quœ accidant, majora videantur, quia recentia sunt, videntur, non quia repenlina. Duplex est igitur ratio veri reperiendi, non in iis solum, quœ mala, sed in iis etiam, quœ bona videntur. Kam aut ipsius reinatura, qualis, et quanta sit, quœri-