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TUSCULANES, LIV. III.

Ô palais de Priant, si cher à ma mémoire !
Ô temple, où les autels, de guirlandes ornés,
Retentissaient des vœux des mortels prosternés,
Et dont j’ai vu les murs, d’immortelle structure,
Briller de toutes parts et d’or et de peinture !


Ô le merveilleux poëte, quoi qu’en puissent dire les admirateurs d’Eophorion ! Peut-on mieux faire sentir combien les malheurs inopinés sont plus accablants que les autres ? Car après avoir étalé toutes ces richesses du roi Priam, dont la durée semblait devoir être éternelle, il ajoute :

En une seule nuit, Dieux ! qui peut le comprendre ?
Ce palais, ces trésors, je les ai vus en cendre ;
Et du sang de Priam, par Pyrrhus immolé,
L’autel de Jupiter indignement souillé.


Voilà de beaux vers. Le sens, les expressions, la cadence, tout en est touchant. Essayons donc de consoler Andromaque. Mais comment ferons-nous ? Mettons-la sur un bon lit de repos : amenons-lui une chanteuse : régalons-la de parfums exquis : présentons-lui quelque boisson délicieuse : ajoutons-y d’excellents mets. Épicure, ce sont là tes secrets pour faire diversion à la douleur, et tu nous as dit que tu n’en connaissais point d’autres. J’admettrais le sentiment de ce philosophe, que pour écarter le chagrin, il faut penser à quelque chose d’agréable, si nous étions d’accord, lui et moi, sur ce qu’on doit regarder comme agréable.

XX. Mais, me dira-t-on, croyez-vous qu’en effet Épicure ait eu des idées si voluptueuses ? Quelle apparence y a-t-il à cela, puisqu’en d’autres endroits il a parlé gravement et sensément ? Je réponds, comme j’ai fait souvent, qu’il s’agit, non de ses mœurs, mais de sa doctrine. Quoiqu’il dédaigne ces voluptés qu’il vient de vanter, je ne perds point de vue son opinion sur le souverain bien. Or, non content de dire que c’est la volupté, il a de plus expliqué sa pensée, en spécifiant le goût, le toucher, tes spectacles, les concerts, et tous les différents objets qui peuvent frapper agréablement la vue. L’ai-je inventé ? En ai-je imposé ? Je serai ravi qu’on me réfute ; car quel autre objet nos disputes ont-elles, que la recherche de la vérité ? Quand la douleur est passée, dit-il encore, le plaisir ne croît plus : ne point souffrir, étant le plaisir suprême. En ce peu de mots, trois grandes erreurs. La première, qu’il se contredit ; car il venait d’avancer qu’il n’entrevoyait rien d’agréable, partout où les sens n’étaient pas en quelque manière chatouillés par le plaisir ; et maintenant il met ce plaisir à ne sentir aucune douleur. Quelle contradiction plus manifeste ? Seconde erreur : il y a trois situations dans l’homme, l’une de se réjouir, l’autre de s’affliger, et la dernière de n’être ni gai ni triste : or Épicure confond la première avec la dernière, et ne met aucune distinction entre avoir du plaisir, et ne pas souffrir. Enfin sa troisième méprise, qui lui est commune avec d’autres philosophes, consiste en ce qu’il sépare le souverain bien de la vertu ; quoique la vertu soit le principal objet de nos désirs, et que la philosophie n’ait été inventée que pour nous aider à y parvenir. Mais, dit-on, il loue souvent la vertu. C’est ainsi que Gracchus ne cessait de parler d’épargne, dans le temps même qu’aux dépens du trésor public, il faisait des largesses immenses au peuple romain. Doisje m’arrêter aux discours, quand je vois les actions ? Pison, surnommé l’honnête homme,

Septum altisono cardine templum :
Vidi ego te, adstante ope barbarica,
Tectis cælatis, laqueatis,
Auro, ebore instruclam regifice.


O poetam egregium ! quanquam ab bis cantoribus Euphorionis contemnitur. Sentit omnia repentina, nec opinata esse graviora. Exaggeratis igitur régis opibus, quse videbantur sempiternœ fore, quid adjungit ?

Hœc omnia vidi inflammari,
Priamo vi vitam evitari,
Jovis aram sanguine turpari.


Præclarum carmen. Est enim et rebus, et verbis, et modis lugubre. Eripiamus buic. aegritudinem : quo modo ? Collocemus in culcita plumea ; psaltriam adducamus ; cedrum incendamus ; demiis scutellam dulcicuæ potionis ; aliquid provideamus et cibi. Hase tandem bona sunt, quibuswgritudines gravissim.ie detrabantur ? Tu enim paulo ante ne intelligere te quidem alia bona dicebas. Revocaii igitur oportere a mœrore ad cogitationem bonorum, conveniret mihi cum Epicuro, si, quid esset bonum, conveniret.

XX. Dicel aliquis : Quid ergo ? tu Epicurum existimas ila voluisse, aut libidinosas ejus fuisse sentenlias ? Ego vero minime : video enim ah eo dici multa severe, multa praeclare. ltaque,ut sape dixi, île acumine agilur ejus, non de moribus. Quamvis adspernetur voluptates eas, quas modo lauda vit : ego tamen meminero, quod videatur ci summum bonum. Non enim verbo solum posuit volupîatem, sed eliam explanaviL quid diceret : Saporem, inquit, et corporum comptexum, et ludos, atque cantus, et formas eas, quibus oculi jucunde moveantur. Num tingo ? num mentior ? cupio refelli. Quid enim laboro, nisi ut Veritas in omni quaestione explicelur ? At idem ail non crescere voluptatem dolore delraclo ; summamque voluptatem, niliil dolere. Paucisverbis tria magnapeccata : unnm, quod secum ipsepugnat ; modo enim, ne suspicari quidem se quidquam bonum, nisi sensus quasi litillarenlur voluptate : nuncautem, summain voluptatem esse, dolore carere. Potestne magis secum ipse pugnare ? Alterum peccalurn, quod, cum in natura tria sint, unum gaudere ; alterum dolere ; tertium nec gaudere, nec dolere ; hic primum et tertium putat idem esse, nec distinguit a non dolendo voluptatem. Tertium peccatum commune cum quibusdam, quod, cum virtus maxime expelatur, ejusquo adipiscendae causa pbilosopbia qua^sita sit, ille a virtute summum bonum separavit At laudat, et saepe, vïrtulem. Et quidem C. Gracchus, cum largitiones maximas fecisset, et effudisset ærarium, verbis tamen defendebat aerarium. Quid verbaaudiam, cum facta videam ? Piso ille