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DE LA NATURE DES DIEUX, LIV. II.

de l’homme qui en juge. L’odorat, le goût, et le toucher ont aussi leur manière de juger. On a même inventé plus d’arts que je ne voudrais, pour jouir de ces sens, et pour les flatter. Car vous savez à quel excès on a porté la composition des parfums, l’assaisonnement des viandes, toutes les délicatesses du corps.

LIX. Quand je viens ensuite à considérer l’âme même, l’esprit de l’homme, sa raison, sa prudence, son discernement, je trouve qu’il faut n’avoir point ces facultés, pour ne pas comprendre que ce sont les ouvrages d’une providence divine. Eh ! que n’ai-je votre éloquence, Cotta ! De quelle manière vous traiteriez un si beau sujet ! Vous feriez voir l’étendue de notre intelligence ; comment nous savons réunir nos idées, et lier celles qui suivent avec celles qui précèdent ; établir des principes, tirer des conséquences, définir tout, le réduire à une exacte précision, et nous assurer par là si nous sommes parvenus à une science véritable, qui est le comble de la perfection, même dans un Dieu. Quelle prérogative, quoique vos Académiciens la dépriment, et même la refusent à l’homme, de connaître parfaitement les objets extérieurs par la perception des sens, jointe à l’application de l’esprit ! On voit par ce moyen quels sont les rapports d’une chose avec l’autre, et là-dessus on invente les arts nécessaires, soit pour la vie, soit pour l’agrément. Que l’éloquence est belle ! Quelle est divine, cette maîtresse de l’univers, ainsi que vous l’appelez parmi vous ! Elle nous fait apprendre ce que nous ignorons, et nous rend capables d’enseigner ce que nous savons. Par elle nous exhortons, par elle nous persuadons, par elle nous consolons les affligés, par elle nous relevons le courage abattu, par elle nous humilions l’audace, par elle nous réprimons les passions, les emportements. C’est elle qui nous a imposé des lois, qui a formé les liens de la société civile, qui a fait quitter aux hommes leur vie sauvage et farouche. Aussi ne croirait-on pas, à moins que d’y prendre bien garde, tout ce qu’il en a coûté à la nature pour nous donner la parole. Car il y a premièrement, depuis les poumons jusqu’au fond de la bouche, une artère par où se transmet la voix, dont le principe est dans notre esprit. Après, dans la bouche se trouve la langue, terminée par les dents. Elle fléchit, elle règle la voix, qui ne lui vient que confusément proférée. En la poussant cette voix contre les dents, et contre d’autres parties de la bouche, elle articule, elle rend les sons distincts. Ce qui fait que les Stoïciens comparent la langue à l’archet, les dents aux cordes, et les narines au corps de l’instrument.

LX. Mais nos mains, de quelle commodité ne sont-elles pas, et de quelle utilité dans les arts ? Les doigts s’allongent ou se plient sans la moindre difficulté, tant leurs jointures sont flexibles. Avec leur secours, les mains usent du pinceau et du ciseau ; elles jouent de la lyre, de la flûte ; voilà pour l’agréable. Pour le nécessaire, elles cultivent les champs, bâtissent des maisons, font des étoffes, des habits, travaillent en cuivre, en fer. L’esprit invente ; les sens examinent ; la main exécute. Tellement que si nous sommes logés, si nous sommes vêtus et à couvert, si nous avons des villes, des murs, des habitations, des temples, c’est aux mains que nous le devons. Par