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DE LA NATURE DES DIEUX, LIV. II.

aisé d’expliquer comment les parties grossières des aliments sont poussées dehors par le mouvement des intestins qui se dilatent et se resserrent : cependant, pour ne rien dire qui blesse l’oreille, il faut s’abstenir d’en parler. Expliquons plutôt cette autre merveille de la nature. L’air, qui s’insinue dans les poumons, acquiert de la chaleur, et par celui qui s’y trouve déjà, et par le battement des poumons. Une partie de cet air est rejetée dehors ; une partie est reçue dans l’endroit nommé le ventricule du cœur. Un autre ventricule tout semblable, et qui joint celui-là, reçoit le sang qui coule du foie par la veine cave. Ainsi de ces deux ventricules, l’un communique le sang aux extrémités par les veines ; l’autre communique les esprits par les artères. Et il y a tant d’artères, tant de veines tellement mélangées, qu’il est aisé d’y remarquer un art divin. Parlerai-je des os, qui servent de base au corps, et dont les jointures sont admirablement conçues, soit pour l’affermir, soit pour terminer ses divers membres, soit pour se prêter à ses mouvements, et à tout ce qu’il doit faire ? Dirai-je comment les nerfs s’entrelacent avec les autres parties du corps, et comment au sortir du cœur, d’où ils tirent leur origine, ainsi que les veines et les artères, les uns et les autres se distribuent de tous côtés ?

LVI. À ce détail, qui prouve l’habileté de la nature et l’attention de sa providence, ajoutons encore plusieurs réflexions, par ou l’on voie combien Dieu nous a privilégiés. Et d’abord considérons qu’il nous a faits d’une taille haute et droite, afin qu’en regardant le ciel nous pussions nous élever à la connaissance des Dieux. Car nous ne sommes point ici-bas pour habiter simplement la terre, mais nous y sommes pour contempler le ciel et les astres, spectacle qui n’appartient à nulle autre espèce d’animaux. Nos sens, par qui les objets extérieurs viennent à la connaissance de l’âme, sont d’une structure qui répond merveilleusement à leur destination ; et ils ont leur siège dans la tête, comme dans un lieu fortifié. Les yeux, ainsi que des sentinelles, occupent la place la plus élevée, d’où ils peuvent, en découvrant les objets, faire leur charge. Un lieu éminent convenait aux oreilles, parce qu’elles sont destinées à recevoir le son, qui monte naturellement. Les narines devaient être dans la même situation, parce que l’odeur monte aussi ; et il les fallait près de la bouche, parce qu’elles nous aident beaucoup à juger du boire et du manger. Le goût, qui nous doit faire sentir la qualité de ce que nous prenons, réside dans cette partie de la bouche par où la nature donne passage au solide et au liquide. Pour le tact, il est généralement répandu dans tout le corps, afin que nous ne puissions recevoir aucune impression, ni être attaqués du froid ou du chaud, sans le sentir. Et comme un architecte ne mettra point sous les yeux, ni sous le nez du maître, les égouts d’une maison : de même, la nature a éloigné de nos sens ce qu’il y a de semblable à cela dans le corps humain.

LVII. Mais quel autre ouvrier que la nature, dont l’adresse est incomparable, pour avoir si artistement formé nos sens ? Elle a entouré les yeux de tuniques fort minces : transparentes au devant, afin que l’on puisse voir à travers : fermes dans leur tissure, afin de tenir les yeux en état.