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CICÉRON.

celles qui ont pris du repos la remplace ; et, pendant tout le chemin qu’elles ont à faire, le même ordre s’observe. Je conterais beaucoup de semblables particularités, si l’on ne jugeait assez du reste par celles-là. Mais voici des choses plus connues.

L. L’attention des bêtes à se conserver, leur circonspection en pâturant, leur manière de se giter, tout cela est admirable. Les chiens se purgent par le haut ; les ibis d’Égypte par le bas : expérience dont les médecins ont eu l’esprit de profiter, il n’y a pas encore longtemps, puisque c’est seulement depuis peu de siècles. On sait que les panthères, qui se prennent dans les pays barbares avec de la chair empoisonnée, n’ont qu’à user d’un remède qu’elles connaissent, pour mettre leur vie à couvert : et que dans l’île de Crète les chèvres sauvages, quand elles sont percées de flèches envenimées, cherchent du dictame, dont elles n’ont pas sitôt goûté, que les flèches leur tombent du corps. Un peu avant que de faonner, les biches se purgent avec une petite herbe, qu’on appelle du séseli. Quand on fait du mal aux bêtes, ou qu’elles en ont peur, nous les voyons toutes avoir recours à leurs armes naturelles ; les taureaux à leurs cornes, les sangliers à leurs défenses, les lions à leurs dents : les unes prennent la fuite, d’autres se cachent : les sèches vomissent leur noir, les torpilles engourdissent : il y en a même plusieurs qui, par de puantes exhalaisons, obligent les chasseurs à se retirer.

LI. Mais afin que la beauté du monde fût éternelle, la providence des Dieux s’est appliquée soigneusement à perpétuer les différentes espèces de plantes et d’animaux. Pour cela, tous les individus ont dans eux-mêmes une si féconde semence, que d’un seul il s’en forme plusieurs. Cette semence, pour ce qui est des plantes, est renfermée dans le cœur de leurs fruits ; mais si abondamment, que les hommes ont de quoi s’en nourrir, et de quoi replanter toujours. À l’égard des animaux, ne voit-on pas avec quel art il a été pourvu à la propagation de leurs espèces ? La nature a ordonné qu’il y en ait de mâles et de femelles. Ils sont parfaitement conformés pour la génération, et ont un désir merveilleux de s’accoupler. Quand la semence a été reçue dans la matrice, elle attire presque toute la nourriture à elle. C’est de quoi elle forme l’animal déjà commencé. Aussitôt qu’il est dehors, si c’est un animal qui se nourrisse de lait, presque tous les aliments de sa mère se convertissent en lait : et sans instruction, par le seul instinct de la nature, l’animal qui vient de naître va chercher les mamelles de sa mère, et se rassasie du lait qu’il y trouve. Une chose qui fait bien voir qu’il n’y a rien là de fortuit, mais que ce sont les ouvrages d’une nature prévoyante et habile, c’est que les femelles, qui, comme les truies et les chiennes, font d’une portée beaucoup de petits, ont beaucoup de mamelles ; au lieu que celles-là en ont peu, qui font peu de petits à la fois. Avec quelle tendresse les bêtes s’attachent-elles à conserver et à élever leurs petits, jusqu’à ce qu’ils puissent eux-mêmes se défendre ! On dit, à la vérité, que les poissons, quand leurs œufs sont faits, les abandonnent ; mais l’eau soutient aisément ces œufs, et ils n’ont point de peine à éclore.

LII. On dit aussi que les tortues et les crocodiles ne font que couvrir de terre leurs œufs, et