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DE LA NATURE DES DIEUX, LIV. II.

raison en partage. Voilà par où l’univers est Dieu : et généralement toute force, toute vertu est renfermée dans cet élément divin. Aussi le feu de l’éther est-il beaucoup plus pur, plus clair, plus vif 5 et par là plus propre à exciter les sens, que le feu qui nous est destiné, et qui agit dans les êtres d’ici-bas. Puis donc que le feu qui agit ici-bas suffit pour opérer dans les hommes et dans les bêtes le mouvement et le sentiment, n’est-ce pas une absurdité de prétendre que le monde ne soit point sensitif, tout pénétré qu’il est de ce feu, qui a dans l’éther toute sa pureté, toute sa force, toute sa liberté, toute son activité ? D’autant plus que ce feu est lui-même le principe de son agitation, et qu’elle ne lui vient nullement d’ailleurs. Car quelle autre force plus grande que celle du monde, pour soumettre à ses impulsions la chaleur même qui le fait subsister ?

XII. Platon, qui est comme un Dieu pour les philosophes, distingue à ce sujet deux sortes de mouvements, l’un propre, l’autre étranger. Ce qui se meut, dit-il, par soi-même, est quelque chose de plus divin que ce qui est mû par une cause étrangère. Or, ajoute-t-il, le mouvement propre n’appartient qu’aux âmes : et de là il conclut que d’elles vient le principe de tout mouvement. Ainsi, puisque tout mouvement vient de l’éther, qui est mû, non par impulsion, mais par sa propre vertu, l’éther est âme par conséquent ; et puisqu’il est âme, le monde est animé. On peut aussi fonder l’intelligence du monde sur ce qu’il a plus de perfections en soi que n’en ont séparément les êtres particuliers. Car de même qu’il n’est point de partie de notre corps aussi considérable que tout notre corps, il n’est point d’être particulier qui soit équivalent à tout l’univers. D’où il s’ensuit que la sagesse est un de ses attributs : sans quoi l’homme, qui n’est qu’un être particulier, mais raisonnable, vaudrait mieux que tout L’univers. En remontant des êtres les plus vils, et qui ne sont, pour ainsi dire, qu’ébauchés, jusqu’aux êtres supérieurs et parfaits, on trouvera enfin les Dieux. Car d’abord nous avons les plantes, qui ne reçoivent de la nature que la faculté de se nourrir et de croître. Les bêtes ont déplus le sentiment et le mouvement, avec du goût pour ce qui leur est bon, et de l’aversion pour ce qui leur est nuisible. L’homme a de plus encore la raison, qui lui est donnée pour commander à ses passions, modérer les unes et dompter les autres.

XIII. Dans le quatrième rang, et au-dessus de tout, sont des êtres naturellement bons et sages, qui, du premier moment qu’ils existent, ont une raison droite, inaltérable, bien plus sublime que la nôtre, une raison parfaite et accomplie, telle que la doit avoir un Dieu, et par conséquent l’univers. Il y a pour tous les êtres une perfection destinée à leur espèce. On y voit arriver naturellement le cep et la brute, à moins qu’il ne s’y rencontre des obstacles. Et comme la peinture, l’architecture, tous les arts ont aussi leur point de perfection, la nature à plus forte raison doit avoir le sien. Beaucoup de causes étrangères peuvent s’opposer à la perfection des êtres particuliers : mais rien ne saurait contrarier la nature ; car elle domine, elle renferme toutes les autres causes. Ainsi c’est une nécessité qu’il y ait ce qua-