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CICÉRON.

mangeaient pas, les fit plonger dans l’eau, et dit avec un ris moqueur : Qu’ils boivent donc, puisqu’ils ne veulent pas manger. Plaisanterie qui coûta cher au peuple Romain, et que Claudius paya de ses larmes, quand il vit ses vaisseaux en déroute. Junius, son collègue, ne perdit-il pas sa flotte par une tempête dans la même guerre, pour avoir mis à la voile malgré les auspices, qui le défendaient ? Aussi le premier fut-il condamné par le peuple. L’autre se donna lui-même la mort. flaminius, à la journée du Trasiraène, fit une perte que nous avons ressentie longtemps ; et cela, suivant le rapport de Célius, parce qu’il avait méprisé les auspices. Tous ces événements sinistres font assez voir que Rome doit sa grandeur à ceux de ses généraux qui ont respecté la religion. Et lorsqu’on voudra comparer le peuple Romain avec les autres peuples, on verra que ce qui le distingue infiniment, c’est son zèle pour les cérémonies saintes : au lieu qu’en tout le reste, les étrangers nous ont égalés, ou même surpassés. Faut-il se moquer de Navius, et de son bâton augurai, qui partagea une vigne en divers cantons, pour parvenir a la découverte d’un pourceau ? Je m’en moquerais, si je ne savais quelle part ses augures ont eue aux victoires du roi Hostilius. Mais aujourd’hui la négligence de la noblesse a laissé perdre l’art des augures ; on n’a que du mépris pour la vérité des auspices ; ils ne s’observent plus que pour la forme, dans les affaires même les plus importantes, telles que les guerres d’où le salut public dépend. À cet égard, toutes les coutumes militaires sont abolies. Quand nos officiers n’ont plus le pouvoir de prendre les auspices, c’est alors qu’on les envoie à l’armée. La religion, au contraire, était si puissante sur l’esprit de nos ancêtres, qu’il se trouva de leurs généraux, qui proférant les paroles solennelles, tête voilée, s’immolèrent eux-mêmes aux Dieux pour sauver l’Etat. Prédictions de sibylles, réponses d’aruspices, je pourrais faire là-dessus mille récits, qui mettraient la vérité dans tout son jour.

IV. Par exemple, nos augures et les aruspices d’Étrurie se virent justifiés par l’événement, lorsqu’il s’agit d’élever Scipion et, Figulus au consulat. Gracchus, qui était consul pour la seconde fois, procédait à leur élection : le premier de ceux qui recueillaient les suffrages, n’eut pas fait, son rapport, qu’il mourut subitement à la même place : Gracchus, malgré cet incident, fit achever les comices. Voyant néanmoins que le peuple en avait du scrupule, il s’adressa là-dessus au sénat : le sénat conclut que l’affaire devait être communiquée à ceux qui ont coutume d’en connaître : les aruspices furent appelés, et répondirent qu’il y avait un défaut personnel dans le magistrat qui avait convoqué les comices. Alors Gracchus en colère, ainsi que mon père me l’a conté : « Moi, dit-il, qui suis consul, qui suis augure, qui ai eu d’heureux auspices, j’aurais à me reprocher un défaut ? Vous autres Étruriens, savez-vous, étrangers que vous êtes, ce qui regarde les auspices du peuple romain, et vous appartient-il de prononcer sur nos comices ? » Aussitôt il leur donna ordre de se retirer. Mais ensuite, il écrivit de sa province au collége des augures, qu’en lisant les rituels il s’était ressouvenu d’avoir, selon la coutume, dressé une tente hors de Rome ; qu’étant de là rentré dans la ville pour assembler le sénat, il avait oublié en repassant le long des murs, de prendre une seconde fois les auspices ; et qu’en cela il reconnaissait avoir fait une faute,