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DE LA NATURE DES DIEUX, LIV. II.

raient-ils pu applaudir tous à cette pensée d’Ennius :

Vois ce brillant Éther,
Que nous invoquons tous, et nommons Jupiter ?

Jupiter, dis-je, le maître du monde ; celui qui d’un coup d’œil gouverne tout ; dont la puissance souveraine opère partout ; qui est, comme ajoute Ennius,

Des Dieux et des hommes le père.

Quiconque aurait quelque doute là-dessus, je crois qu’il pourrait aussitôt douter s’il y a un soleil. L’un est-il plus visible que l’autre ? Cette persuasion, sans l’évidence qui l’accompagne, n’aurait pas été si ferme et si durable ; elle n’aurait pas acquis de nouvelles forces en vieillissant ; elle n’aurait pu résister au torrent des années, et passer de siècle en siècle jusqu’à nous. Tout ce qui n’était que fiction, que fausseté, nous voyons que cela s’est dissipé à la longue. Personne croit-il encore aujourd’hui qu’il y eut jamais un hippocentaure, une Chimère ? Les monstres horribles qu’on se figurait anciennement dans les enfers, font-ils encore peur à la vieille la plus imbécile du monde ? Avec le temps les opinions des hommes s’évanouissent, mais les jugements de la nature se fortifient. D’où il arrive parmi nous, et parmi les autres peuples, que le culte divin et les pratiques de religion s’augmentent et s’épurent de jour en jour. On ne doit l’attribuer ni au caprice, ni au hasard, mais aux marques certaines que les Dieux nous donnent souvent de leur présence. Dans la guerre des Latins, quand le dictateur Postumius attaqua, près du lac Régille, Mamilius de Tusculum, notre armée vit Castor et Pollux qui combattaient pour nous à cheval. Dans une autre occasion, et longtemps après, ce fut aussi de ces Tyndarides qu’on apprit la défaite du roi Perses. Vatiénus, l’aïeul de celui que nous voyons, revenant la nuit de Riète à Rome, et deux jeunes hommes montés sur des chevaux blancs lui ayant fait savoir que Perses avait été pris ce jour-là même, il annonça cette nouvelle au sénat, qui d’abord le fit mener en prison, comme pour avoir parlé témérairement sur une affaire d’État : mais quand la chose fut confirmée par les lettres du général, il eut pour sa récompense un champ, et l’exemption de servir. Un autre fait, dont la mémoire n’est pas éteinte, c’est que les troupes de Locres ayant battu vivement celles de Crotone sur les bords de la Sagre, le bruit s’en répandit le même jour aux jeux olympiques, qui se célébraient alors. Souvent les faunes ont fait entendre leurs voix ; souvent les Dieux ont apparu sous des formes si visibles, qu’il fallait être ou stupide ou impie pour en douter.

III. Mais s’il y a une divination, n’est-ce pas encore une preuve qu’il y a des Dieux ? Quand on prendrait pour des fictions ce qui se rapporte de ces augures si fameux, Mopsus, Tirésias, Amphiaraüs, Calchas, Hélénus ; ces fictions mêmes feraient voir ce qu’on a cru des auspices. Et manquons-nous d’exemples domestiques qui nous y découvrent la puissance des Dieux ? Quoi ! ne serions-nous pas émus de ce qui arriva dans la première guerre punique à Claudius, qui, voyant que les poulets qu’on avait tirés de leur cage ne