Page:Cicéron - Œuvres complètes Nisard 1864 tome 4.djvu/117

Cette page n’a pas encore été corrigée
107
DE LA NATURE DES DIEUX, LIV. I.

dehors le monde entier. Opinions, en vérité, plus dignes du pays de Démocrite, que de Démocrite lui-même. Car enfin, quelle idée peut-on se former de ces images ? Comment seraient-elles pour nous un objet d’admiration ? Et par quel endroit nous paraîtraient-elles mériter des hommages et des prières ? Quant à Épicure, il extirpe toute religion, du moment qu’il ôte aux Dieux la volonté de faire du bien. Il a beau dire qu’ils ont toutes les perfections. En ne leur accordant pas la bonté, il leur retranche ce qui convient le plus essentiellement à des êtres parfaits. Car y a-t-il rien de meilleur, rien de plus grand, que d’être bon et de faire du bien ? Refuser à vos Dieux cette qualité, c’est dire qu’ils n’aiment ni Dieux, ni hommes ; que personne ne leur est cher ; que personne ne doit espérer d’eux la plus légère attention ; et qu’en un mot, non seulement ils ne se mettent point en peine de j nous, mais ils se regardent les uns les autres d’un œil indifférent.

XLIV. Que les Stoïciens, dont vous blâmez la doctrine, sont bien plus raisonnables que vous ! C’est une de leurs maximes, qu’un sage est ami d’un autre sage, même sans le connaître. Aussi la vertu est ce qu’il y a de plus aimable. Dans quelque endroit du monde qu’elle paraisse, elle s’attirera notre amour. Mais vous, quel tortue pertes-vous pas aux hommes, en leur voulant faisuader qu’il n’y a que la faiblesse qui fasse naître de l’attachement et du zèle pour autrui ? Que par cette raison les Dieux n’en sont point capables : et que les hommes eux-mêmes, s’ils ne sentaient pas le besoin de s’aider mutuellement, ne connaîtraient ni générosité, ni penchant à se faire plaisir ? Quoi ! n’est-ce pas un sentiment naturel aux honnêtes gens, de se chérir les uns les autres ? Jusque-là qu’on chérit ce mot d’amour, d’où l’amitié tire son nom. Qui ne chercherait dans l’amitié que ses avantages personnels, et non ceux de son ami ; ce ne serait pas amitié, ce serait une sorte de trafic. On aime des prés, des champs, des troupeaux, à cause du profit qui en revient : mais les personnes qu’on aime, on les aime sans intérêt. À combien plus forte raison les Dieux, qui n’ont besoin de rien, doivent-ils s’aimer gratuitement les uns les autres, et s’employer pour nous ? Sans cela, pourquoi les honorer ? pourquoi les prier ? Faut-il des sacrifices et des pontifes, faut-il des augures et des auspices ? Mais, encore une fois, n’a-t-on pas un livre d’Épicure sur la sainteté ? C’est un homme qui se joue de nous, et qui a moins de grâce à plaisanter, que de hardiesse à écrire tout ce qu’il lui plaît. De quelle sainteté est-il question, si les Dieux ne songent point à ce qui regarde les hommes ? Et se peut-il faire qu’il y ait une espèce d’êtres animés, qui ne songent à rien du tout ? Posidonius, notre ami commun, a bien découvert le but de ce système, lorsqu’il a montré, dans son cinquième livre De la nature des Dieux, qu’Épicure ne croyait point de Dieux ; et que tout ce qu’il en disait n’était que pour se dérober à l’indignation du public. Épicure, après tout, n’eût pas été assez sot pour s’imaginer de bonne foi qu’un Dieu a tout l’extérieur d’un simple mortel ; qu’il a un corps, à la solidité près, tout semblable au nôtre, mais sans en faire le moindre usage ; qu’il est grêle, transparent ; qu’il ne donne rien, n’est bon à rien, ne prend soin de rien, ne