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CICÉRON

Gracchus haranguant au Capitole, et recueillant les voix sur l’affaire d’Octavius, je prétends que ce n’est là qu’un fantôme. Vous prétendez, vous, que ce sont les images encore subsistantes de Gracchus et d’Octavius, lesquelles, au sortir du Capitole, retombent dans mon esprit. Qu’il en est de même des Dieux, dont il se détache continuellement des images, qui nous font comprendre qu’ils sont heureux et immortels. Supposons qu’il y ait véritablement de ces images qui nous frappent l’esprit. Tout l’effet qu’elles produiront, c’est de nous offrir un objet. Feront-elles comprendre pourquoi il est heureux, toi il est immortel ? Mais qu’est-ce que ces images ? Quelle est leur origine ? Ce fut Démocrite qui s’avisa d’en parler le premier. On l’accabla d’objections, dont vous ne vous tirez pas mieux que lui. Le système est ruineux de fond en comble. Car viendra-t-on jamais à bout de me prouver que mon esprit reçoive les images d’Homère, d’Archiloque, de Romulus, de Numa, de Pythagore, de Platon ? Je ne les vois pas sous la figure qu’ils avaient. Comment, est-ce donc eux que je vois ? Et de qui sont les images à l’aide desquelles vous dites que je les vois ? Aristote prétend qu’Orphée n’exista jamais, et l’on veut que les vers qui passent sous le nom de ce poëte soient d’un Pythagoricien nommé Cercops. Je ne laisse pas d’avoir souvent dans l’esprit Orphée, c’est-à-dire son image, selon vous. Et comment arrive-t-il que, pensant vous et moi à la même personne, nous la voyons différemment ? Que nous avons des idées de choses qui ne furent jamais, et qui n’ont pu être ; comme vous diriez Scylla, ou la Chimère ? Que nous savons nous peindre des personnes, des lieux, des villes, qui jamais ne furent devant nos yeux ? Que ces images, au moment que nous voulons, sont toujours prêtes à s’introduire dans nos esprits ? Qu’elles y entrent sans qu’on les appelle, et pendant qu’on dort ?

XXXIX. Tout ceci, Velléius, est pur badinage. Vous nous faites entrer des images, non-seulement dans les yeux, mais encore dans l’esprit. Que ne dites-vous point, sous prétexte qu’on vous laisse tout dire impunément ? Ces images ne font que passer, et si vite, que plusieurs semblent n’en faire qu’une. Je rougirais de mon ignorance, si ceux qui parlent ainsi concevaient eux-mêmes ce qu’ils disent. Car prouvez-vous qu’il s’écoule perpétuellement de ces images ? Ou comment entendez-vous qu’elles soient inépuisables, supposé qu’il s’en écoule perpétuellement ? Elles sont inépuisables, dites-vous, parce qu’il y a une infinité d’atomes pour en produire. Mais, par la même raison, tout ne serait-il pas éternel ? Pour éluder cette conséquence, vous avez recours à l’équilibre, à une juste proportion entre les différentes espèces d’êtres, qui fait, selon vous, que comme il y en a d’une espèce mortelle, il y en doit avoir d’une espèce immortelle. D’où il faudrait conclure, que comme il y a des hommes mortels, il y en a d’immortels ; et que, comme il y en a qui naissent sur la terre, de même il y en a qui naissent dans l’eau. Vous ajoutez, que comme il y a des causes qui détruisent, il y en a pareillement qui conservent. Je vous le passe ; mais, en tout cas, elles ne conservent que ce qui existe : or je ne vois pas que vos Dieux existent. D’ailleurs, ces atomes peuvent-ils produire des images ? Il n’y a point d’atomes : mais quand il y en aurait, tout ce qu’ils pourraient