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devant de moi, la tête ornée de bandelettes et couronnée de verveine. Je vois encore la foule des citoyens accourir de toutes parts ; je les entends encore, pendant que je parlais, m’interrompre par leurs pleurs, par leurs gémissemens : il semblait que toute la ville fût plongée dans le deuil le plus cruel. Ce n’étaient ni les exactions tyranniques du préteur dans la perception de la dîme, ni le pillage de leurs biens, ni l’iniquité de ses jugemens, ni la brutalité de ses passions, ni les violences et les outrages dont il les avait tant de fois accablés, qui faisaient le sujet de leurs plaintes ; c’était la divinité de Cérès, l’ancienneté de son culte, la sainteté de son temple, qu’ils voulaient voir venger par le supplice du plus scélérat et du plus audacieux des hommes. Ils disaient qu’à ce prix ils souffriraient, ils abandonneraient tout le reste ; mais ce sacrilège les avait si profondément affligés, que Verrès leur semblait un autre Pluton revenu dans Enna, non plus pour enlever Proserpine, mais Cérès elle-même. En effet, Enna ne paraît pas tant une ville que le temple de cette auguste déesse. Les habitans sont persuadés qu’elle réside au milieu de leurs remparts, et je vois moins en eux les citoyens d’Enna que les ministres, les prêtres, les pontifes de Cérès.

Et dans Enna vous avez eu la témérité d’enlever Cérès ! dans Enna vous avez entrepris d’arracher de la main de Cérès l’image de la Victoire, ravissant ainsi une déesse des bras d’une autre déesse ! Oui, vous n’avez point respecté ces images, que n’ont osé ni profaner ni même toucher des hommes habitués au crime, étrangers à tout sentiment de religion. En effet, sous le consulat de P. Popillius et de P. Rupilius, des esclaves fugitifs, des barbares armés contre nous, furent en possession de