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cases suivantes les autres chefs d’accusation ; et toutes les fois que nous voudrons nous souvenir de l’un d’eux, si nous avons bien disposé les formes des objets, et distingué soigneusement les images, la mémoire nous le reproduira facilement.

XXI. Quand nous voudrons exprimer par des images la ressemblance des mots, la tâche sera plus difficile, et demandera une plus grande contention d’esprit. Voici comment il faut s’y prendre : Pour retenir cette phrase : jam domuitionem reges Atridæ parant : (déjà les rois fils d’Atrée se disposent au départ) ; on place dans une case l’image de Domitius élevant les mains vers le ciel, tandis qu’il est frappé de verges par les Marcius Rex. Cette image rappellera jam domuitionem reges ; dans la case suivante, on se figurera Esopus et Cimber représentant Agamemnon et Ménélas ; ce sera pour les mots Atridæ parant. De cette manière, tous les mots seront exprimés. Mais cette combinaison d’images est surtout utile, quand on veut réveiller par ce moyen la mémoire naturelle ; par exemple, s’il s’agit d’un vers, on le repasse d’abord en soi-même, deux ou trois fois, ensuite, on représente les mots par des images. C’est ainsi que l’art suppléera à la nature, car chacun séparément aurait moins de force ; toutefois il y a de l’étude de la science plus de secours à attendre. Je n’aurais pas de peine à le prouver, si je ne craignais pas, en m’écartant de mon sujet, de nuire à cette clarté concise qui convient aux préceptes.

Mais comme il arrive d’ordinaire que, parmi ! es images, les unes sont favorables et capables d’avertir l’esprit, les autres, faibles et presque impuissantes à ranimer la mémoire, il faut examiner à quoi tient cette différence, afin d’apprendre, quand nous en connaîtrons la cause, quelles sont celles que nous devons écarter, et celles que nous devons retenir.

XXII. La nature nous enseigne elle-même ce, qu’il faut faire ; car, si dans le cours ordinaire de la vie nous voyons des choses peu importantes, communes et journalières, nous n’avons pas coutume d’en garder le souvenir, parce que l’esprit n’est ému que par les objets nouveaux ou singuliers. Mais si nous voyons ou si l’on nous raconte quelque chose qui présente un caractère marqué d’infamie ou de probité, de bizarrerie ou de grandeur, qui soit étonnant ou sublime, nous nous le rappelons longtemps. Le plus souvent encore nous oublions ce que nous voyons ou ce que nous entendons chaque jour, tandis que les souvenirs de l’enfance restent souvent inaltérables. Il n’en est peut-être ainsi qu’à cause de la facilité avec laquelle les choses ordinaires s’échappent de notre mémoire, qui retient plus longtemps ce qui est remarquable ou nouveau. Personne n’admire le lever, la marche, le coucher du soleil, parce que c’est un spectacle de tous les jours ; mais les éclipses de soleil font une plus grande impression, parce qu’elles arrivent plus rarement, et se remarquent davantage que les éclipses de lune, qui sont plus fréquentes. La nature nous apprend donc elle-même que les choses vulgaires et communes ne la touchent pas, et qu’il faut, pour l’émouvoir, quelque objet remarquable ou nouveau Que l’art imite donc la nature ; qu’il invente ce qui doit lui plaire, et qu’il suive la route qu’elle lui montre : car la nature n’est jamais en arrière, ni l’art le premier en avant. Les éléments de toute chose sont dus au génie ; l’étude les met ensuite en