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en avez recu le pouvoir, non seulement les réprimer, mais même les punir.

Je pense que celui qui veut qu’on interroge les hommes qu’on sait avoir été présents lorsque le meurtre a été commis, désire trouver la vérité ; que celui qui s’y oppose garde en vain le silence son refus est sa condamnation. Juges, j’ai promis de me renfermer dans les bornes de ma cause, et de ne parler du crime des Roscius qu’autant que la nécessité m’y contraindrait. Je pourrais produire bien d’autres griefs et les appuyer par beaucoup de raisonnements. Mais je ne puis ni approfondir ni développer un sujet que je traite malgré moi et par nécessité. J’ai énoncé succinctement ce qu’il m’était impossible de taire. Quant à ce qui est fondé sur des soupçons, si je voulais en tirer parti, les détails exigeraient de longs développements ; je les abandonne à votre pénétration et à votre sagesse.

XLIII. Je viens maintenant à cet homme, qui porte un nom si riche, à Chrysogonus, le chef et l’âme de l’association. Ici je me trouve dans une grande perplexité. Dois-je parler ? dois-je me taire ? Me taire, c’est me priver des plus puissants moyens de ma cause. Si je parle, je crains, non pas d’irriter Chrysogonus, sa colère m’est fort indifférente ; mais d’offenser beaucoup d’autres citoyens. Toutefois j’ai peu de choses à dire contre les acquéreurs en général. La cause que je défends est nouvelle ; elle est unique en son espèce.

Chrysogonus a acheté les biens de Roscius. Voyons d’abord pourquoi ces biens ont été vendus, ou même s’ils ont pu l’être. Et je ne dirai pas qu’il est indigne qu’on ait mis en vente l’héritage d’un citoyen innocent. Quand même on voudrait m’écouter, quand j’aurais la liberté de le dire, Roscius n’a pas été d’un rang à pouvoir, plus que tout autre, donner lieu à de pareilles plaintes. Mais je demande comment, d’après la loi Valéria ou Cornélia, car je ne l’ai jamais bien connue, comment, dis-je, d’après la loi même de la proscription, les biens de Roscius ont pu être vendus ?

Cette loi, dit-on, ordonne qu’on vendra les biens de ceux qui ont été proscrits : Roscius ne l’a pas été ; ou de ceux qui ont été tués dans le parti contraire : tant qu’on a fait la guerre, Roscius a suivi les drapeaux de Sylla. C’est depuis qu’on a quitté les armes, c’est lorsque tout était calme et tranquille, qu’il a été tué à Rome, en revenant de dîner. S’il l’a été légalement, j’avoue que les biens ont été légalement vendus. Si au contraire nulle loi ancienne, et même nouvelle, ne légitime ce meurtre, je demande de quel droit, par quelle raison, en vertu de quelle loi ses biens ont été vendus ?

XLIV. Vous cherchez, Érucius, à qui s’adressent ces questions ? Ce n’est pas à celui que vous voudriez et que vous pensez. Dès mon début, j’ai disculpé Sylla. D’ailleurs sa haute vertu l’a mis dans tous les temps à l’abri des soupçons. Je dis que Chrysogonus a tout fait : il a calomnié Roscius ; il l’a représenté comme un mauvais citoyen ; il a dit que Roscius a été tué dans les rangs ennemis ; il n’a pas souffert que Sylla fût instruit de la vérité par les députés d’Amérie. Je soupçonne même que les biens n’ont pas été vendus ce qui sera éclairci par la suite, si les juges le per-