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donc citer en ma faveur celui même d’après lequel, dites-vous, nous défendons cette cause en suivant vos principes ? Il discutait avec moi la question présente, savoir, s’il était vrai qu’on ne pût se dire chassé que d’un lieu où l’on avait été. Il avouait que le sens et l’esprit de l’ordonnance étaient pour nous, mais que la lettre était contre nous ; or, il ne pensait pas qu’on pût s’écarter de la lettre. Je lui opposais plusieurs exemples, outre l’argument de l’équité ; je lui disais que, dans nombre d’occasions, on avait distingué, des mots écrits et de la lettre, le droit et la justice ; qu’on avait toujours fait la plus grande attention à ce qui était le plus juste, à ce qui avait en soi le plus d’autorité : il me rassura en me disant que je ne devais pas être embarrassé dans cette cause, que les termes de la consignation faite par les deux parties étaient en ma faveur, si j’y prenais garde. Je demandai comment ; il me répondit : Cécina a été chassé par la violence et avec des hommes armés, d’un lieu quelconque ; sinon du lieu où il voulait se rendre, du moins de celui d’où il a pris la fuite. Qu’en voulez-vous conclure ? répliquai-je. Le préteur, ajouta-t-il, a ordonné de rétablir dans le lieu d’où l’on aurait été chassé par la violence, c’est-à-dire, quel que fût le lieu d’où l’on aurait été chassé. Or Ébutius, qui avoue que Cécina a été chassé de quelque lieu, a tort de dire qu’il n’est point dans le cas de l’ordonnance, et doit nécessairement perdre la somme qu’il a consignée.

Eh bien ! Pison, voulez-vous combattre avec des mots ? vous plaît-il d’établir sur un mot une question de droit, la cause de toutes les possessions en général, et non pas simplement de la nôtre ? J’ai fait connaître ce que je pensais, ce qui a été pratiqué par nos ancêtres, ce que demandait la dignité de nos juges ; j’ai fait voir qu’il était juste et raisonnable, qu’il était utile pour tout le monde, d’examiner l’intention et l’esprit d’un acte, et non les mots. Vous voulez que je discute les mots : avant que d’entrer dans cette discussion, je vous déclare ma répugnance. Je dis qu’on ne le doit pas, qu’on ne saurait le soutenir ; je dis qu’il est impossible de rien exprimer, de rien statuer, de rien excepter suffisamment, si, parce qu’un mot est omis ou qu’il renferme une équivoque, encore que l’on connaisse l’esprit de la chose et la chose même, on fait prévaloir le sens littéral sur la volonté manifeste du législateur.

XXIX. Puisque j’ai assez déclaré ma répugnance, j’accepte enfin ce que vous me proposez. Je vous demande, au nom de mon client, si j’ai été chassé, non de la terre de Fulcinius (car le préteur n’a pas ordonné de me rétablir dans cette terre si j’en avais été chassé, mais de me rétablir dans le lieu d’où j’aurais été chassé) ; j’ai été chassé de la terre voisine par laquelle je voulais me rendre à la terre en litige ; j’ai été chassé du chemin ; je l’ai été assurément de quelque lieu public ou privé : c’est là qu’on a ordonné de me rétablir. Vous prétendez n’être point dans le cas de l’ordonnance du préteur. Je prétends, moi, que vous êtes précisément dans le cas de cette ordonnance. Que dites-vous à cela ? il faut de toute nécessité que vous soyez battu ou par vos propres armes, ou par les miennes. Si vous ne recourez à l’esprit de l’ordonnance, si vous dites qu’on doit examiner de quelle terre il s’agissait, lorsqu’on ordonnait à Ébutius de rétablir Cécina ; si