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Parlons sérieusement : Verrès possédera-t-il lui seul toutes ces richesses ? La maison, les campagnes de Verrès seront-elles encombrées des ornements des temples et des villes ? Et vous, juges, souffrirez-vous plus longtemps les fantaisies et les goûts d’un tel homme ? Quand il s’agira de porter des statues, qu’on le préfère, j’y consens : par la nature et par l’éducation, par l’âme et par le corps, il semble bien plus propre à ce métier qu’aux jouissances du connaisseur.

Je ne puis vous dire combien cette Sapho laissa de regrets. Outre qu’elle était d’une beauté admirable, une inscription grecque qu’on lit sur le piédestal ajoute encore à la douleur des peuples. Cet homme instruit, ce Grec habile, qui juge si bien des productions des arts, et qui seul en sent le prix, l’aurait fait disparaître, s’il avait su un seul mot de la langue grecque ; car cette inscription solitaire annonce quelle statue avait été placée sur le piédestal, et atteste qu'on l’a enlevée.

Verrès n’a-t-il pas ravi de même du temple d’Esculape une statue d’Apollon, qui excitait par sa beauté l’admiration des peuples, et recevait depuis longtemps leurs hommages religieux ? Celle d’Aristée n’a-t-elle pas été, par son ordre, aux yeux de tout le monde, emportée du temple de Bacchus ? N’a-t-il pas enlevé, du temple de Jupiter, la statue, non moins belle ni moins révérée, de Jupiter Imperator, que les Grecs nomment Ourios, et de celui de Proserpine un superbe buste de marbre de Paros, qu'attirait tant de curieux ? Or cet Apollon était honoré, conjointement avec Esculape, par des sacrifices annuels. Aristée, que les Grecs regardent comme l’inventeur de l’huile, était adoré chez les Syracusains dans le même temple que Bacchus son père.

LVIII. Et quels honneurs Jupiter Imperator n’a-t-il pas dû recevoir dans son temple ? Pour vous en former une juste idée, rappelez-vous combien était respectée cette statue de la même forme et de la même beauté, que Flamininus apporta de la Macédoine et plaça dans le Capitole. On comptait dans l’univers trois statues de Jupiter Imperator, toutes trois parfaites dans le même genre ; la première était celle de Macédoine, que nous voyons au Capitole ; la seconde est à l’entrée et dans le détroit du Pont-Euxin ; la troisième se voyait à Syracuse, avant la préture de Verrès. Flamininus emporta la première, mais pour la poser dans le Capitole, c’est-à-dire, dans la demeure que Jupiter s’est choisie sur la terre. Celle du Pont-Euxin, quoique des flottes armées aient tant de fois traversé le détroit, ou pour sortir de cette mer, ou pour y pénétrer, est restée jusqu’ici sans recevoir aucune atteinte. La troisième, qui était à Syracuse ; que Marcellus a respectée, à la tête d’une armée victorieuse ; qu’il a cédée à la religion des peuples ; que les habitants de Syracuse adoraient ; que les étrangers visitaient et révéraient : Verrès l’a enlevée du temple de Jupiter. Je ne me lasse point de citer Marcellus : sachez donc que l’arrivée de Verrès a coûté plus de dieux aux Syracusains que la victoire de Marcellus ne leur a coûté de citoyens. On dit même que ce grand général fit chercher Archimède, qui joignait le plus beau génie aux connaissances les plus étendues, et qu’il ressentit la plus vive douleur en apprenant qu’il avait été tué. Verrès n’a jamais fait faire de recherches que pour emporter ce qu’il pourrait découvrir.

LIX. Je ne rappellerai point des larcins qui