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une calamité, est-il une injustice, un opprobre dont ils ne se soient vus accablés sous cette préture ? Ils ne devaient donner que la dîme ; à peine leur a-t-on laissé la dîme même. On devait leur donner de l’argent ; ils n’en ont pas reçu. Le vœu du sénat était qu’ils fournissent de blé la maison du préteur, d’après une estimation favorable ; ils ont été forcés de vendre jusqu’à leurs instruments de labourage.

XCVIII. Je l’ai déjà dit, Romains : quand vous réprimeriez toutes ces vexations, c’est moins par la richesse du produit que par un certain attrait, par la douceur de l’espérance, que l’agriculture se soutient. Tous les ans, en effet, on abandonne des frais et des travaux certains à l’incertitude et au hasard. Le blé n’a une grande valeur que si les récoltes sont mauvaises ; sont-elles abondantes, il se vend à vil prix : de sorte que le blé se vend mal quand l’année est bonne, et bien quand la récolte est mauvaise. Telles sont les productions de la terre, qu’elles dépendent moins du travail et de la prudence, que des choses les plus variables, des vents et des saisons. Lorsqu’on exige une dîme en vertu de la loi et aux termes d’un traité ; lorsque, d’après un règlement plus nouveau, on demande une autre dîme à cause de la disette des grains ; lorsqu’en outre, on achète du blé tous les ans au nom de la république ; lorsqu’on en exige encore pour la provision des magistrats et de leurs lieutenants, quelle partie de la récolte reste-t-il au laboureur et au propriétaire, dont ils puissent disposer librement et en toute assurance ? Si on les assujettit à tant de charges ; si, dans la réalité, c’est pour vous et pour le peuple romain, plutôt que pour eux-mêmes et pour leur propre avantage qu’ils emploient leur argent, leurs soins, leurs travaux, faut-il en outre qu’ils supportent des ordonnances inouïes, le despotisme des préteurs, la domination d’un Apronius, les vols et les rapines de vils esclaves ? faut-il en outre qu’ils donnent pour rien le blé qu’on devait leur acheter ? qu’ils payent, pour la provision du préteur, des sommes exorbitantes, quand ils consentiraient à lui fournir du blé gratuitement ? faut-il enfin que ces préjudices et ces pertes soient accompagnés des plus cruels affronts et des plus sanglants outrages ? Aussi, Romains, n’ont-ils pas supporté ce qui ne pouvait l’être. Vous le savez, dans toute la Sicile, les propriétaires ont abandonné la culture, déserté les campagnes ; et tout ce que je demande dans ce jugement, c’est que, grâce à votre équité rigoureuse, les Siciliens, vos anciens et fidèles alliés, les fermiers et les laboureurs du peuple romain, retournent à ma voix et sous ma conduite dans leurs champs et leurs demeures.

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