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CHAPITRE VI.

ment il s’en saisit, les armes à la main, avant le terme fixé par la donation.

C’était le temps des grandes et fratricides discordes entre les princes du sang, qui se disputaient le gouvernement de la France, pendant la fatale démence de Charles VI. Jean-sans-Peur, à l’heure même où l’on croyait à la paix, avait fait assassiner son rival, le duc d’Orléans, et le crime de la rue Barbette jetait le royaume dans l’épouvante (1407). Le duc de Berry, justement irrité, se déclarait l’ennemi du meurtrier, et, révoquant la donation d’Étampes et de Dourdan, embrassait le parti du fils de la victime, le jeune duc d’Orléans, et se jetait dans la ligue des Armagnacs. Mettant dès lors à la disposition de son parti ses châteaux de Dourdan et d’Étampes, il fit ouvrir leurs portes aux garnisons du duc d’Orléans. Tristes temps pour la ville de Dourdan ! Désolées par l’indiscipline et la licence effrénée des bandes factieuses, villes et campagnes étaient soumises à toutes les exactions de la guerre, et les chroniqueurs contemporains finissent par se lasser de décrire toutes « les roberies et pilleries » des partisans rivaux[1]. Cantonnés dans la fertile région de Beauce, dont ils accaparaient et gâtaient les récoltes ; affamant les Parisiens-Bourguignons, les Armagnacs se répandaient dans toute la banlieue de Paris, « faisant tout le pis qu’ils povaient, comme eussent fait Sarrazins, » et s’avançaient hardiment jusqu’aux portes de la capitale, où ils tenaient le roi en échec dans de quotidiennes et sanglantes escarmouches. Les populations, ruinées par les soldats des garnisons de Dourdan et d’Étampes, firent arriver jusqu’au trône le cri de leur détresse. On était en hiver (nov. 1411), et, bien que les princes eussent résolu de ne se mettre en campagne qu’au printemps, ils se décidèrent à châtier sur l’heure les audacieux assaillants[2]. Les Armagnacs étaient campés au village de Saint-Cloud ; Paris se leva en masse. Bourgeois fanatiques arborant le chaperon vert et la croix de Saint André, compagnons armés de haches, terrible cohorte des bouchers, une

  1. Jean Juvénal des Ursins. Collection Michaut, 1re série, tom. II, p. 470 et suiv. — Pierre de Fenin, ib., 579. — Chronique du Religieux de Saint-Denis, liv. XXXI, ch. xxiii : « Le 8 nov. 1410, les ducs, accompagnés des malédictions du peuple, se retirèrent, le duc de Berry à Dourdan, celui de Bourgogne à Meaux, pour se trouver l’un et l’autre à égale distance de Paris. »
  2. « Or est vérité que durant les tribulacions dessus dictes, le Roy et ses princes estans à Paris, eurent plusieurs complaintes des maulx et violences que faisoient par le pays ceulx de la parnison d’Estampes et de Dourdan, et que pour ce nonobstant qu’il eut esté pieça conclud que le Roy ne le duc d’Aquitaine ne se mectroient poinct sus à puissance devant ce que l’iver seroit passé ; néantmoins, pour résister aux entreprinses des dessusdiz, fut ce propos rompu, et le XXIIIe jour de novembre ledit duc d’Aquitaine, acompaigné, etc… se parti de Paris en l’intencion de mectre en l’obéissance du Roy les dessus dictes places d’Estampes et de Dourdan… marchant à tout grant foison d’abillemens de guerre, tant bombardes comme autre artillerie. » (Chron. d’Enguerrand de Monstrelet, édit. Douët-d’Arcq, in-8o, 1859, tom. II, p. 222.)