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CHAPITRE XXIII.

peine levé qu’il doit fournir un mémoire détaillé sur l’apparence des récoltes. Les prix viennent-ils à hausser un samedi, un long questionnaire lui est envoyé sur les pratiques illicites des marchands de l’endroit. « Il y a quelques marchands de blé dans l’élection, répond-il, mais trop peu riches pour faire des magasins importants. Leur talent est d’acheter dans des marchés pour revendre dans de plus prochains de Paris[1]. » — « Et les enarrhements faits par les marchands chez les laboureurs de la campagne ? » demande l’intendance en septembre 1751. Sur quoi le subdélégué affirme que cela se pratique très-peu par les marchands de Dourdan, mais en même temps il signale l’abus des commissionnaires d’Orléans qui courent la province et prêtent à gros intérêts des semences et de l’argent aux cultivateurs.

En 1752, des esprits inquiets crient au scandale contre certaines facilités données par le marché d’Auneau qui, se tenant le vendredi, fausse, dit-on, tous les cours de celui de Dourdan. Des achats un peu plus considérables par des laboureurs « sans commission déterminée, » des ventes sur montre dans quelques auberges causent l’indignation et l’effroi ; ce qui n’empêche pas le marché de Dourdan de faire cette année-là une année passable à cause du concours de différents marchands et fariniers de Paris, Versailles, Saint-Germain, mis en campagne par suite de la cherté, et de l’apport inaccoutumé de grains par des laboureurs qui ne venaient pas d’ordinaire.

Ce ne sont là que les préludes d’une crise terrible. Les principes de liberté, essayés par des esprits convaincus mais des mains incertaines, sont sur ces entrefaites à la fois inaugurés et contredits ; et durant ce passage indécis et laborieux de l’ancien système au système nouveau, le malaise est à son comble dans les centres commerciaux. Il faut voir à Dourdan l’opposition que trouve la réforme non-seulement auprès de la population, mais chez les magistrats éclairés. L’homme le plus intelligent en même temps que le plus gouvernemental de la ville ne craint pas de déplorer amèrement chacune des lois favorables à la liberté. Il s’élève avec énergie, même en haut lieu, contre « leur multiplicité versatile. » La déclaration du roi du 25 mai 1763, l’édit de juillet 1764 sont autant de mesures qui bouleversent l’âme « sensible » du subdélégué et lieutenant général de police de Dourdan, et lui arrachent des plaintes « de ce que son ministère passif le réduit à gémir dans le secret de son cœur sur les inconvénients qui résultent d’une liberté trop effrenée dans la vente et achat d’une denrée de première nécessité. » La « sagesse du ministère, » qui obtient du roi, en septembre 1770, un arrêt du conseil proscrivant les abus de la libre circulation des grains, donne quelque consolation au représentant de Dourdan, mais il ne tarde pas à gémir encore sur ce que l’exécution de l’arrêt n’est pas générale. On le

  1. Mémoire à l’Intendance, du 24 septembre 1740.