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CHAPITRE XXII.

Le 22 août 1765 M. Roger rendit la première sentence contre les chefs. On comptait sur leurs derniers aveux. L’appel à la cour éloigna de Dourdan pour plusieurs mois les hôtes de la grosse tour, devenus ceux de la Conciergerie.

En mars 1766, l’odieuse cohorte était ramenée au complet. La sentence avait été de tout point confirmée par arrêt de la cour du 26 février. L’exécution appartenait à Dourdan. Dourdan vit un horrible spectacle. Un échafaud se dressa sur la place du Marché, et, pendant six jours, les 10, 11, 13, 14, 17 et 18 mars, au milieu des malédictions de la foule toujours renouvelée, sept hommes y montèrent l’un après l’autre : Renard, Soubriat, le Lapin, le Soldat, Tournetalon, le Breton et le Petit-Parisien. Chaque matin, durant une semaine, la cruelle opération se répéta. Torturé pendant de longues heures, le patient se laissait arracher quelques lambeaux de révélations que le greffier écrivait sous le nom de testament de mort. Puis, à coups de barres de fer, on lui rompait reins, cuisses, bras et jambes, et on l’étendait la face en l’air sur une roue pour y vivre « tant qu’il plairait à Dieu[1]. » Sur le soir, quand le dernier soupir était rendu, la populace ivre de vengeance et de sang suivait l’exécuteur des hautes œuvres qui, d’après la sentence, portait jusqu’à plusieurs lieues le corps mort, sur les grands chemins, là ou le crime avait été commis[2].

En juillet, sur la même place, le Bâtard fut pendu.

En septembre, le hideux spectacle du mois de mars recommença pendant trois jours, pour le Petit-Étienne, Va-de-bon-Cœur et Dur-à-Cuire, et cette fois la foule que la vue des tortures rendait cruelle, chantait pendant les heures du supplice une atroce complainte imprimée à Chartres et distribuée par un marchand de chansons, ignoble dialogue des trois malheureux avec leurs camarades morts, et avec Mandrin et Cartouche dans les enfers. Une immense risée se mêla à toutes ces horreurs quand le bourreau, en vertu de la sentence, attacha seize tableaux représentant seize prévenus absents, rompus et roués en effigie, sur seize potences plantées autour de la place.

Nouvelle instruction pendant l’hiver, nouvelles sentences, nouveaux voyages à Paris et retour à Dourdan du reste de la troupe, pour les procédures et les appels de la cour. En février 1768, Linas et le Parisien-Bancal, condamnés aux galères à perpétuité, faisaient le tour de la ville une corde au cou, fustigés nus à tous les carrefours et marqués d’un fer chaud sur les deux épaules. C’était le dernier acte de ce drame sanglant de trois années.

  1. Un retentum accordait, comme une grâce, à quatre des malheureux d’être secrètement étranglés s’ils vivaient plus de six heures sur la roue.
  2. Les corps des cinq premiers furent portés sur le chemin de Sermaise, en face le hameau de la Villeneuve, — celui du Breton au-dessus du village des Granges, — celui du Petit Parisien au-delà de la forêt, sur la route de Saint-Arnoult, près d’un bois qui s’appelle encore le Bois Parisien.