Page:Choquette - La Terre, 1916.djvu/273

Cette page a été validée par deux contributeurs.
— 276 —

mais elle était si discrète ou si rusée, la coquine, qu’elle n’en laissait rien paraître et que son père même ne s’en était pas aperçu. Pour on ne sait quel mystérieux motif, elle parvenait si bien à étouffer les battements de son cœur que le jeune homme qu’elle aimait beaucoup beaucoup et qui aurait brûlé de seconder sa flamme, se croyant sincèrement repoussé, était parti pour la guerre, l’âme découragée et brisée. À cette occasion-là, par exemple, malgré l’écrou dont elle se verrouillait, quelque chose s’était brisé dans sa poitrine et un sanglot déchirant en avait jailli, tant elle l’aimait beaucoup beaucoup, au fond, ce beau jeune homme, et tant ça la torturait de… »

— « Non, père, je ne l’aime pas, Yves… je ne dois pas l’aimer… » s’exclama tout à coup Jacqueline, en se voilant la figure de ses mains.

— « S’agit-il de toi ? Ai-je dit qu’elle se nommait Jacqueline, cette grande petite fille qui… ? Non, tu ne l’aimes pas ? bien vrai ?… C’est ce pauvre vieux de Beaumont qui aura rêvé… »

Sentant son propre rêve s’en aller, il reprit : — « Sais-tu, Jacqueline, que je m’étais moi-même laissé entraîner dans sa naïve chimère ?… Mais puisque tu ne l’aimes pas…

— « Et lui, Yves ? » ne put-elle se retenir de demander.

— « Oh ! lui… Il faut l’apprendre de la bouche du père de Beaumont… Mais peut-être se l’est-il imaginé seulement… À son âge, et avec ce qui reste toujours de songe inquiet dans l’âme des vieux, on en construit tant pour les enfants de ces châteaux sans