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j’en ai été rassasié. Et même à travers tous ces biens la douleur n’a cessé de me visiter. J’ai connu l’ennui avec ses teintes sombres, faites d’impuissance, d’humeur, de découragement, de révolte. C’est que l’effort vers le mieux est la raison d’être de la vie et le bonheur se trouve dans le travail ininterrompu. Plus l’intelligence s’accroît, plus l’être devient sensible à la souffrance, parce que les forces disponibles trouvent plus difficilement un champ où s’exercer. Le paysan ne connaît rien de ces états d’âme dont nous avons la dure expérience. Il n’a pas à chercher sa tâche quotidienne, sa profession la lui mesure à chaque heure du jour. S’il peine parfois à la poursuite de ses besoins, il n’éprouve pas le cuisant malaise qui souvent résulte du seul ralentissement de l’action vitale. La tristesse ne l’assiège que rarement. N’est-ce pas là le bonheur ? Oui, je le crois fermement et j’espère faire pénétrer cette conviction dans l’âme de Jacqueline.

Il s’enferma de nouveau quelques instants dans ses réflexions, puis se traits se distendirent, se rassérénèrent tout à fait. Son habituelle figure d’affectueuse tendresse était réapparue rayonnante.

— « Où es-tu, Jacqueline ? Viens donc, Jacqueline. Accours, que je te raconte une histoire, si délicieuse et si amusante à la fois que personne n’en a jamais imaginé de pareille… C’est bon, assieds-toi là. Non, plus près… Ça ne se raconte pas bien, à haute voix, ces choses-là… Écoute. »

— « Il y avait une fois… une grande petite fille qui aimait beaucoup beaucoup un beau jeune homme,