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la fraîcheur à tes pieds nus ? C’est là que souffle de la montagne cette brise aussi propice aux moissons qu’aux moissonneurs. »

Non, ce n’était pas encore ce que Lucas avait pensé ; son malaise le disait.

— « La « sucrerie » alors ?… Mais ne serait-ce pas s’arracher un lambeau du cœur que de transmettre à quelque étranger la vieille cabane à sucre, l’été, si pleine de charmes, si pleine de mystère, l’hiver ; les grands érables ; les sentiers sous-bois où nous passions enfants pour aller cueillir des mûres et des framboises ; où avaient avant nous passé nos pères, mais où après nous ton petit Gérard ne pourrait plus passer ? »

Oh ! ces indéfinissables sensations agrestes, ces attendrissants reculs dans le passé, ces rappels inattendus de visions devant lesquelles plus tard on sent subitement ses lèvres frémir pour un rire ou pour un sanglot, seules les âmes paysannes et rurales, qui dès leur enfance ont laissé comme une haleine s’exhaler sur elles l’enivrante buée des bois, des chaumes et des avoines, seules ces âmes en peuvent concevoir la saveur infiniment pénétrante.

Cette fois, Lucas avait écrasé son regard sur le sol. Ainsi qu’un malade que l’on tourmente en l’entretenant de choses trop sérieuses, il n’avait eu qu’un mouvement accablé d’épaules pour demander grâce. Il se tenait immobile.

Mais au même moment, un appel joyeux d’enfant avait retenti derrière lui et cela l’avait tout de suite