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— « Tiens, tu vas t’estropier, » fit entendre aussitôt Lucas, d’un ton de protection paterne. « Si j’avais su, je ne l’aurais pas aiguisée autant, car c’est plus difficile à manier que tes petits explosifs, ces machines-là. » Mais Yves avait déjà atteint un andain laissé à demi terminé et impétueusement il avait commencé d’abattre l’avoine à grands coups de faulx rapides.

Lucas le regardait faire, légèrement moqueur. Les longues pailles, tranchées tout à coup, continuaient un moment à s’agiter éperdues, puis, inclinant leurs épis comme pour un adieu au beau grand soleil de là-bas qui les avait réchauffées, dorées et mûries, elles se penchaient, se penchaient et brusquement, s’affaissaient en longues nappes blondes sur le sol.

Yves termina l’andain et, sans arrêt, se remit à en abattre un second. Il éprouvait en lui-même du plaisir à retrouver son ancienne vaillance, sa même adresse passée.

— « Tu es plus solide que je ne le croyais, sais-tu ? » lui cria Lucas en se levant à son tour, et en s’avançant vers lui à travers le champ rasé. « Si j’avais sous la main une autre faulx, je te défierais pour un nouvel andain… Mais gare aux ampoules, cette fois, par exemple. » À ce moment, il ne pensait plus à sa pauvreté, ni à sa ferme trop vaste, ni aux soucis qui trop souvent hantaient son esprit ; il ne voyait que ce jeune frère partageant tout à coup son travail, redevenu son compagnon, et avec lui renaissait l’image du foyer intact d’autrefois