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41. — George Sand à la comtesse Marliani, à Paris.

Barcelone, 15 février 1839.

Ma bonne chérie,

Me voici à Barcelone. Dieu fasse que j’en sorte bientôt et que je ne remette jamais le pied en Espagne ! C’est un pays qui ne me convient sous aucun rapport et dont je vous dirai ma façon de parler quand nous en serons hors, comme dit La Fontaine. Le climat de Majorque devenait de plus en plus funeste à Chopin, je me suis hâtée d’en sortir. Un trait des mœurs des habitants ! J’avais pour quitter ma montagne trois lieues de chemin très raboteux à faire jusqu’à Palma. Nous connaissions dix personnes qui ont voitures, chevaux, mulets, etc., aucune n’a pu nous prêter la sienne. Il a fallu faire cette course en patache de louage non suspendue si bien que Chopin a eu un crachement de sang épouvantable en arrivant à Palma. Et pourquoi cette désobligeance ? C’est que Chopin tousse. Quiconque tousse en Espagne est déclaré phtisique, quiconque est phtisique est pestiféré, lépreux, galeux. Il n’y a pas assez de pierres, de bâtons et de gendarmes pour le chasser de partout parce que selon eux la phtisie se gagne et qu’en raison de cela on doit si l’on peut assommer le malade comme on étouffait les enragés il y a deux cents ans. Ce que je vous dis est à la lettre. Nous avons été à Majorque comme des parias à cause de la toux de Chopin et aussi parce que nous n’allions pas à la messe. Mes enfants étaient assaillis à coups de pierres sur les chemins. On disait que nous étions payens, que sais-je ? Il faudrait écrire dix volumes si on voulait