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Maurice se porte comme le pont Neuf. Il est fort, gras, rose, ingambe. Il pioche le jardin et l’histoire avec autant d’aisance l’un que l’autre. Mais, mon Dieu ! pendant que je me réjouis à te parler de nous et à te dire des bêtises, n’es-tu pas dans le chagrin ? Vous êtes dans l’hiver jusqu’au cou, vous autres ! Ma pauvre Agasta n’est-elle pas malade ? Dieu veuille que ma lettre vous trouve tous bien portants et disposés à rire !

Quand je songe combien j’aurais voulu décider Agasta à venir avec moi ici, je vois que, d’une part, j’aurais bien fait de réussir à cause du climat ; mais de l’autre, il y aurait eu bien des inconvénients. La vie est dure et difficile. On ne se figure pas ce que l’absence d’industrie met d’embarras et de privations dans les choses les plus simples. Nous avons été au moment de coucher dans la rue. Ensuite, l’article médecin est soigné ! Ceux de Molière sont des Hippocrates en comparaison de ceux-ci. La pharmacie à l’avenant. Heureusement nous n’en avons pas besoin ; car, ici, on nous donnerait de l’essence de piment pour tout potage. Le piment est le fond de l’existence mayorquine. On en mange, on en boit, on en plante, on en respire, on en parle, on en rêve. Et ils n’en sont pas plus gaillards pour cela ! Du moins, ils n’en ont pas l’air !

Adieu, mon Boutarin ; je t’embrasse, toi, Agasta et les chers enfants. Donne de mes nouvelles à nos amis. Je les aime, je pense à eux aussi bien à Palma qu’à Nohant. Mais comment leur écrire, quand je n’ai le temps ni de dormir, ni de manger, ni de prendre l’air avec un peu de laisser aller. C’est une grande