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meublée, avec jardin et site magnifique, pour cinquante francs par mois. De plus, j’ai, à deux lieues de là, une cellule, c’est-à dire trois pièces et un jardin plein de citrons, pour trente-cinq francs, par an, dans la grande chartreuse de Valdemosa ! Valdemosa bipède vous expliquera ce que c’est que Valdemosa chartreuse ; ce serait trop long à vous décrire.

C’est la poésie, c’est la solitude, c’est tout ce qu’il y a de plus artiste, de plus chiqué sous le ciel ; et quel pays ! nous sommes dans le ravissement.

Nous avons eu un peu de peine à nous installer, et je ne conseillerais à personne de le tenter dans ce pays-ci, à moins de s’y faire annoncer six mois à l’avance.

Nous avons été favorisés par un concours de circonstances uniques. Si une famille venait après nous, je crois qu’elle ne trouverait rien à habiter ; car ici on ne loue rien, on ne prête rien, on ne vend rien.

Il faut tout commander, et tout se fait lentement. Si l’on veut se permettre le luxe exorbitant d’un pot de chambre, il faut écrire à Barcelone.

Valdemosa, en nous parlant des facilités et du bien-être de son pays, nous a horriblement blagués. Mais le pays, la nature, les arbres, le ciel, la mer, les monuments dépassent tous mes rêves : c’est la terre promise, et, comme nous avons réussi à nous caser assez bien, nous sommes enchantés. Nous nous portons très bien, Chopin a fait hier trois lieues à pied avec Maurice et nous sur des cailloux tranchants. Tous deux ne se portent que mieux aujourd’hui. Solange et moi engraissons à faire peur, mais non pitié.

Enfin notre voyage a été le plus heureux et le plus