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peut-être son cœur plus à l’aise. Ce que je craindrais le plus au monde, ce qui me ferait le plus de peine, ce qui me déciderait même à me faire morte pour lui, ce serait de me voir devenir une épouvante et un remords dans son âme ; non, je ne puis (à moins qu’elle ne soit funeste pour lui en dehors de moi) me mettre à combattre l’image et le souvenir d’une autre. Je respecte trop la propriété pour cela, ou plutôt c’est la seule propriété que je respecte. Je ne veux voler personne à personne excepté les captifs aux geôliers et les victimes aux bourreaux, et la Pologne a la Russie ; par conséquent, dites-moi si c’est une Russie dont l’image poursuit notre enfant ; alors je demanderai au ciel de me prêter toutes les séductions d’Armide pour l’empêcher de s’y jeter ; mais si c’est une Pologne, laissez-le faire. Il n’y a rien de tel qu’une patrie, et quand on en a une, il ne faut pas s’en faire une autre. Dans ce cas, je serai pour lui comme une Italie, qu’on va voir, où l’on se plaît aux jours du printemps, mais où l’on ne reste pas, parce qu’il y a plus de soleil que de lits et de tables et que le confortable de la vie est ailleurs. Pauvre Italie ! Tout le monde y songe, la désire ou la regrette ; personne n’y peut demeurer, parce qu’elle est malheureuse et ne saurait donner le bonheur qu’elle n’a pas. Il y a une dernière supposition qu’il est bon que je vous dise. Il serait possible qu’il n’aimât plus du tout l’amie d’enfance et qu’il eût une répugnance réelle pour un lien à contracter, mais que le sentiment du devoir, l’honneur d’une famille, que sais-je ? lui commandassent un rigoureux sacrifice de lui-même. Dans ce cas-là, mon ami, soyez son bon ange ; moi, je ne puis guère m’en mêler ; mais vous le