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Mais au retour le mauvais temps nous a tenus en mer le double du temps ordinaire. Nous avons eu surtout quarante heures d’un roulis tel que je n’en avais pas vu depuis longtemps. C’était un beau spectacle et, si tout mon monde n’eût été malade, j’y aurais pris un grand plaisir. Mais Chopin était cruellement fatigué, et les enfants quoique moins accablés souffraient aussi. J’étais malade moi-même mais pas assez pour être insensible à ce bel orage. Pendant que nous essuyions celui-là, vous étiez, vous autres, tous, préoccupés d’orages bien plus sérieux encore et que nous ignorions. Nous avons appris en arrivant chez le docteur (où nous nous reposons de nos fatigues) tout ce qui s’était passé en France durant notre absence. Au delà de la frontière, il y a comme une muraille de Chine, entre les nouvelles de la civilisation et l’immobilité du vieux monde… Mais ces nouvelles sont tristes. Encore des victimes généreuses et folles inutilement sacrifiées. Encore du temps perdu, encore un bon coup de vent pour la Monarchie en attendant le naufrage inévitable mais trop tardif. […] Nous partons après demain pour Nohant. Adressez-moi là votre prochaine lettre, nous y serons dans huit jours, car je ne veux pas fatiguer Chopin par de fortes journées. Ma voiture est arrivée de Châlons à Arles par le bateau et nous nous en irons en poste tout tranquillement, couchant dans les auberges comme de vieux bourgeois.

On me cherche la brochure de l’Abbé [Lamennais] et on ne me la trouve pas encore. Marseille est arriérée, mais je l’aurai pourtant. Le Docteur lit l’Encyclopédie et se passionne pour Leroux et Reynaud avec une ardeur libérale et philosophique qui le