dans des milliers de tranſmigrations, ſont devenus dieux l’un aprés l’autre ; & que depuis qu’ils ont eſté dieux, ils ont encore aquis de ſi grands mérites qu’ils ont tous eſté anéantis : ce qui eſt le terme du plus grand mérite, & la derniere récompenſe de la vertu, pour n’eftre plus ſi fort fatiguez en changeant ſi ſouvent de corps. Il eſt vrai que par le mot Siamois ni-rupan, que nous traduiſons anéantiſſement, ils entendent ſeulement un état permanent, où ils ſeront comme endormis ſans rien ſouffrir ; & c’eſt en quoi ils mettent leur bonheur éternel.
Leur dernier dieu s’appelle Ckodom : quelques-uns l’appellent Sommono-Ckodom, comme qui diroit le grand Ckodom. Ils diſent qu’il mourut il y a 2229. ans ; qu’il avoit paſſé par les corps de cinq cens cinquante animaux de différente eſpece ; qu’eſtant Talapoin, il vint des païs orientaux un autre Talapoin envieux de ſa réputation pour le tuer ; qu’il le laiſſa approcher de fort prés, & que tout d’un coup par ſon ordre la terre s’ouvrit, & le méchant Talapoin fut précipité dans les enfers, lié de chaînes, & dans une poſture aſſez ſemblable à un homme crucifié. Cette fable leur donne quelque éloignement de la Croix. Ils ajoutent que quoi-que Ckodom ait eſté anéanti, & que par conſéquent ils n’ayent point de Dieu préſentement, ſa loi ne laiſſe pas de ſubſiſter dans les Talapoins ; & que dans quelques ſiecles un
