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du Voyage de Siam.

idée ! Ou plutôt qu’il a eu bon ſens de faire parler ſur un ſujet ſi difficile un auſſi bel eſprit que Saint Auguſtin ! Je ſçai bien que vous ſçavez tout cela par cœur, & que les Eſſais de Morale eſt votre livre favori. Mais je vous prie de relire pour l’amour de moi le Chapitre où il parle de l’occupation éternelle des Bienheureux. En vérité il faut eſtre fou pour ne pas avoir envie d’aller là. L’enfer ne m’a pas ſemblé ſi bien traité ; & l’un m’a fait plus de plaiſir, que l’autre ne m’a fait de peur. La raiſon en vient peut-eſtre de mon temperament. Je me flate aiſément : je croi avoir enfilé le bon chemin, & j’eſpere beaucoup de la miſéricorde de Dieu. Que je ſuis heureux d’avoir entrepris ce voyage-ci ! Je ſentois bien que la main de Dieu y eſtoit ; & j’y eftois pouſſé avec trop de violence pour que cela fuſt naturel. Tout s’y oppoſoit. Le Roi n’y avoit que faire de moi. Mes amis, mes parens m’en détournoient. La nature y devoit trouver beaucoup de répugnance. Je n’avois point d’argent pour faire les dépenſes abſolument néceſſaires. Dieu m’a fait la grace de ſurmonter tout cela. J’eſtois à moitié malade quand je ſuis parti ; il avoit fallu ne pas dormir toute la nuit : la ſanté m’eſt revenuë en mangeant ſalé, & en beuvant de l’eau de vie ; & jamais je ne me ſuis ſi bien porté. L’eſprit eſt encore en meilleur état ; toujours gai, bien avec tout le monde. Je ne ſuis rien ſur ce

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