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joyeusetés. Le souper s’étant prolongé bien avant dans la nuit, l’égoumène ordonna de faire résonner le maillet (billo) du monastère, car c’était un jour férié ; puis, s’étant levé, il se rendit avec le jeune prince à l’église, pour assister aux prières. Ils furent suivis par le vaïvode ainsi que par tous ceux qui se trouvaient présents. Les chants et les lectures se prolongeant plus que de coutume, les assistants, y compris les nobles préposés à la garde du prince et le vaïvode, par suite soit des fatigues du voyage, soit des amples libations du festin, succombèrent au poids du sommeil et s’endormirent.

Le jeune prince avec son regard pénétrant s’aperçut aussitôt de l’état où se trouvaient ses gardiens, qui ronflaient à qui mieux mieux. Il se lève, et, après avoir salué le saint autel, déclara qu’il voulait accomplir les vœux faits au Seigneur. Aussitôt qu’il eut reçu la bénédiction de l’égoumène, il choisit un moine dans le nombre des pères revêtus du sacerdoce. Tous deux étant montés sur une colonne (stolbe) qui se trouvait dans l’enceinte du monastère, et où il y avait une chapelle sous l’invocation du prophète saint Jean, précurseur du Christ, le très-orthodoxe tzarévitch s’y enferma et s’écria d’une voix ravie de bonheur : « Maintenant je te remercie, ô Dieu, inépuisable dans tes libéralités ! Désormais je t’exalterai, ô bonté suprême, comme tu m’as élevé !… » De son côté le moine, ayant prié, lui coupa les cheveux ; il le revêtit de la dalmatique si ardemment désirée, et changea son nom de Rastko en celui de Sabba. Le jeune homme, heureux de son nouvel état, remerciait beaucoup le Créateur du bienfait qu’il avait daigné lui accorder en accomplissant le désir de son cœur pacifique. Le vieillard admirait l’émotion et l’attendrissement du néophyte.

Pendant ce temps, les lectures se terminèrent, tous les fidèles se retirèrent. Alors les guerriers qui gardaient le prince s’éveillent en sursaut et le cherchent, sans pouvoir le trouver ni à l’église ni dans le monastère, grâce à sa métamorphose ; dépités et furieux, ils se mutinent. Le sang des soldats bout dans leurs veines. Ils commencent par s’en prendre à l’égoumène. Celui-ci ne pouvant donner aucune réponse satisfaisante, ils se ruent sur les prêtres et les accablent de coups. Ce ne fut qu’avec la plus grande