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mort, du jugement dernier, de l’enfer et du royaume céleste, Rastko méprisait toutes les jouissances de ce monde. Lorsqu’il eut atteint sa dix-huitième année, ses parents se proposèrent de le marier. Par hasard, ou plutôt par un effet de la Providence divine, cela coïncida avec l’arrivée d’une mission de vénérables moines du mont Athos, envoyés à la cour de son père, pour y rechercher l’aumône. Le jeune prince s’en réjouit vivement, car il affectionnait le saint état monastique. Il ne tarda pas à apprendre que parmi les envoyés il y avait un prêtre, russien d’origine et très-versé dans les matières de la vocation religieuse et de la vie de privations. Rastko, se ménage une entrevue avec lui, et là, sans témoins, il lui demande des renseignements sur les anachorètes du saint mont Athos et le mode de vivre des dévots qui l’habitent. Puis, il lui dévoile ses pensées les plus intimes ainsi que son projet de s’enfuir avec eux, priant le prêtre de ne point en parler à qui que ce fût et de garder soigneusement le secret. Au récit que le prêtre lui fit de toutes les particularités de la règle, comme quoi les saints pères y vivaient dévotement, ou enfermés dans des monastères, en commun avec d’autres frères, ou isolés un à un, ou bien deux à deux et trois à trois, et comme quoi ils s’exaltaient à force de prières et de jeûnes ; Rastko, émerveillé et attendri, fondit en larmes, en s’adressant ainsi à son interlocuteur : Père, je m’aperçois, pauvre pécheur que je suis, que Dieu, qui sait tout, vous envoya ici pour calmer les angoisses de mon cœur. Oui, c’est maintenant, l’âme ravie de joie, que je commence à me comprendre moi-même et à m’expliquer ce que je désirais si ardemment ! Heureux en vérité, trois fois heureux ceux qui se sont assuré une existence si tranquille. Dites-moi, vénérable père, que dois-je faire pour briser à tout jamais avec cette vie mondaine et orageuse, pour vivre à l’instar de vos saints pères ? Maintenant si mes parents me contraignent de me marier, il me sera plus difficile encore de rompre tous ces liens de la terre qui me retiennent ici où je ne voudrais pas rester un jour de plus, de crainte que l’esprit du mal ne me fasse changer d’idée et de résolution. Je partirais tout seul pour Athos, mais je ne connais pas la route qui y conduit. Ah ! si je m’égare et si les émissaires de mon père