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De mon côté, je devins rêveuse, à tel point qu’on fut forcé de s’en apercevoir ; & quand on m’en fit le reproche, j’eus l’adresse de m’en défendre maladroitement, & de jeter sur Prévan un coup d’œil prompt, mais timide & déconcerté, & propre à lui faire croire que toute ma crainte était qu’il ne devinât la cause de mon trouble.

Après souper, je profitai du temps où la bonne maréchale contait une de ces histoires qu’elle conte toujours, pour me placer sur mon ottomane, dans cet abandon que donne une tendre rêverie. Je n’étais pas fâchée que Prévan me vît ainsi ; il m’honora, en effet, d’une attention toute particulière. Vous jugez bien que mes timides regards n’osaient chercher les yeux de mon vainqueur : mais dirigés vers lui d’une manière plus humble, ils m’apprirent bientôt que j’obtenais l’effet que je voulais produire. Il fallait encore lui persuader que je le partageais : aussi, quand la maréchale annonça qu’elle allait se retirer, je m’écriai d’une voix molle & tendre : Ah ! Dieu ! j’étais si bien là ! Je me levai pourtant : mais avant de me séparer d’elle, je lui demandai ses projets, pour avoir un prétexte de dire les miens, & de faire savoir que je resterais chez moi le surlendemain. Là-dessus tout le monde se sépara.

Alors je me mis à réfléchir. Je ne doutais pas que Prévan ne profitât de l’espèce de rendez-vous que je venais de lui donner ; qu’il n’y vînt d’assez bonne heure pour me trouver seule, & que l’attaque ne fût