Page:Choderlos de Laclos - Les Liaisons dangereuses, 1869, Tome 1.djvu/218

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

m’occupai des moyens de décider sa maîtresse à lui laisser le temps d’en prendre.

Je réussis, & j’obtins qu’elle lui ferait une querelle de cette même partie de chasse, à laquelle, bien évidemment, il n’avait consenti que pour elle. On ne pouvait prendre un plus mauvais prétexte : mais nulle femme n’a mieux que la vicomtesse, ce talent commun à toutes, de mettre l’humeur à la place de la raison, & de n’être jamais si difficile à apaiser que quand elle a tort. Le moment d’ailleurs n’était pas commode pour les explications ; & ne voulant qu’une nuit, je consentais qu’ils se raccommodassent le lendemain.

Vressac fut donc boudé à son retour. Il voulut en demander la cause ; on le querella. Il essaya de se justifier ; le mari, qui était présent, servit de prétexte pour rompre la conversation ; il tenta enfin de profiter d’un moment où le mari était absent, pour demander qu’on voulût bien l’entendre le soir : ce fut alors que la vicomtesse devint sublime. Elle s’indigna contre l’audace des hommes qui, parce qu’ils ont éprouvé les bontés d’une femme, croient avoir le droit d’en abuser encore, même alors qu’elle a à se plaindre d’eux ; & ayant changé de thèse par cette adresse, elle parla si bien délicatesse & sentiment, que Vressac resta muet & confus ; & que moi-même j’étais tenté de croire qu’elle avait raison : car vous saurez que comme ami de tous deux, j’étais en tiers dans cette conversation.

Enfin, elle déclara positivement qu’elle n’ajouterait pas les fatigues de l’amour à celles de la chasse, & qu’elle se reprocherait de troubler d’aussi doux plai-