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Au lieu de revenir hier directement, je me suis arrêté chez la comtesse de ***, dont le château se trouvait presque sur ma route, & à qui j’ai demandé à dîner. Je ne suis arrivé à Paris que vers les sept heures, & je suis descendu à l’Opéra, où j’espérais que vous pouviez être.

L’opéra fini, j’ai été revoir mes amies du foyer ; j’y ai retrouvé mon ancienne Émilie, entourée d’une cour nombreuse, tant en femmes qu’en hommes, à qui elle donnait à souper le soir même à P… Je ne fus pas plutôt entré dans ce cercle, que je fus prié du souper, par acclamation. Je le fus aussi par une petite figure grosse & courte, qui me baragouina une invitation en français de Hollande, & que je reconnus pour le véritable héros de la fête. J’acceptai.

J’appris dans ma route, que la maison où nous allions était le prix convenu des bontés d’Émilie pour cette figure grotesque, & que ce souper était un véritable festin de noce. Le petit homme ne se possédait pas de joie, dans l’attente du bonheur dont il allait jouir ; il m’en parut si satisfait, qu’il me donna envie de le troubler ; ce que je fis en effet.

La seule difficulté que j’éprouvai fut de décider Émilie, que la richesse du bourgmestre rendait un peu scrupuleuse. Elle se prêta pourtant, après quelques façons, au projet que je donnai, de remplir de vin ce petit tonneau à bière, & de le mettre ainsi hors de combat pour toute la nuit.

L’idée sublime que nous nous étions formée d’un buveur hollandais, nous fit employer tous les moyens con-