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court que je dois épouser, & ce doit être au mois d’octobre. Il est riche, il est homme de qualité, il est colonel du régiment de… Jusques-là tout va fort bien. Mais d’abord il est vieux : figure-toi qu’il a au moins trente-six ans ! & puis, madame de Merteuil dit qu’il est triste & sévère, & qu’elle craint que je ne sois pas heureuse avec lui. J’ai même bien vu qu’elle en était sûre, & qu’elle ne voulait pas me le dire, pour ne pas m’affliger. Elle ne m’a presque entretenue toute la soirée que des devoirs des femmes envers leurs maris : elle convient que M. de Gercourt n’est pas aimable du tout, & elle dit pourtant qu’il faudra que je l’aime. Ne m’a-t-elle pas dit aussi qu’une fois mariée, je ne devais plus aimer le chevalier Danceny ? comme si c’était possible ! Oh ! je t’assure bien que je l’aimerai toujours. Vois-tu j’aimerais mieux, plutôt, ne me pas marier. Que ce M. de Gercourt s’arrange, je ne l’ai pas été chercher. Il est en Corse à présent, bien loin d’ici ; je voudrais qu’il y restât dix ans. Si je n’avais pas peur de rentrer au couvent, je dirais bien à maman que je ne veux pas de ce mari-là ; mais ce serait encore pis. Je suis bien embarrassée. Je sens que je n’ai jamais tant aimé M. Danceny qu’à présent ; & quand je songe qu’il ne me reste plus qu’un mois à être comme je suis, les larmes me viennent aux yeux tout de suite ; je n’ai de consolation que dans l’amitié de madame de Merteuil ; elle a si bon cœur ! elle partage tous mes chagrins comme moi-même ; & puis elle est si aimable, que, quand je suis avec elle, je n’y songe presque plus. D’ailleurs elle m’est bien utile ; car le peu