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LES LIAISONS

celle-ci d’une voix inquiète, en rompant le cachet avec vivacité ; le premier coup d’œil l’instruisit ; & il se fit une telle révolution sur sa figure, que madame de Rosemonde s’en aperçut, & lui dit : « Qu’avez-vous ? » Je m’approchai aussi, en disant : « Cette lettre est donc bien terrible ? » La timide dévote n’osait lever les yeux, ne disait mot ; &, pour sauver son embarras, feignait de parcourir l’épître, qu’elle n’était guère en état de lire. Je jouissais de son trouble ; & n’étant pas fâché de la pousser un peu : « Votre air plus tranquille, ajoutai-je, fait espérer que cette lettre vous a causé plus d’étonnement que de douleur. » La colère alors l’inspira mieux que n’eût pu faire la prudence. « Elle contient, répondit-elle, des choses qui m’offensent, & que je suis étonnée qu’on ait osé m’écrire. » « Et qui donc ? » interrompit madame de Rosemonde. « Elle n’est pas signée, répliqua la belle courroucée : mais la lettre & son auteur m’inspirent un égal mépris. On m’obligera de ne m’en plus parler. » En disant ces mots, elle déchira l’audacieuse missive, en mit les morceaux dans sa poche, se leva, & sortit.

Malgré cette colère, elle n’en a pas moins eu ma lettre ; & je m’en remets bien à sa curiosité, du soin de l’avoir lue en entier.

Le détail du reste de la journée me mènerait trop loin. Je joins à ce récit le brouillon de mes deux lettres ; vous serez aussi instruite que moi. Si vous voulez être au courant de cette correspondance, il faut vous accoutumer à déchiffrer mes minutes ; car pour rien