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Le cas de Joseph Conrad, Ukrainien ou Polonais, qui ne savait pas l’anglais à vingt ans, n’avait rien produit à quarante, et se trouve à soixante l’un des maîtres incontestés du roman anglais, est d’autant plus symptomatique qu’il promet de n’être pas unique. Avec lui, ce n’est plus seulement le cosmopolitisme artistique et intellectuel qui vient et pénètre par les classes cultivées. Joseph Conrad est entré dans la vie et dans la littérature anglaises, non par la passerelle, mais par l’entrepont, comme un matelot. C’est une carrière d’émigrant qu’il a faite. Il a pénétré, conquis le roman d’aventures anglais par les faits, par sa Vie, avant de s’y établir et d’y exercer une influence d’autant plus remarquable qu’elle doit tout au talent, rien aux artifices de l’habileté commerciale. Il y a trente ans, la vieille Angleterre d’Europe se demandait si la jeune Angleterre d’Amérique serait capable d’assimiler les troubles apports de l’immigration. La même question se pose aujourd’hui pour Londres qu’il y a cinquante ans pour New-York.

A peine avait-il commencé d’écrire, que Joseph Conrad formulait sa théorie de l’art et du roman dans la préface de The Nigger of the Narcissus (1898). Ce manifeste répond au besoin de logique qu’il tient de sa culture française, mais satisfait en même temps à l’instinct slave de l’imprécision. Ce qu’il contient de neuf n’est pas toujours clair, et ce qui paraît clair n’est pas toujours neuf. N’importe. Joseph Conrad répudie la philosophie et la science comme guides de l’invention, et se défend en conséquence de toute œuvre à thèse : « L’artiste fait « appel en nous à ce qui est de naissance et non d’ac- « quisition. » Il se sépare ainsi de la plupart des grands romanciers anglais du xix me siècle. Et, de fait, il n’y a dans son œuvre aucune idée générale, aucune revendîca-