Page:Chevalley - Le Roman anglais de notre temps.djvu/163

Cette page n’a pas encore été corrigée

cinq grands romanciers contemporains 147 du Temps. Il y a vingt ans que m'échut le même office en faveur de H. G. Wells, depuis lors traduit par les soins de M. H. Davray. On m'excusera donc d'être bref. Le public français n'ignore guère de Kipling que sa poésie, c'est-à-dire peut-être le meilleur de lui-même. Or il ne s'agit ici que du roman. Et, dans le roman, la vertu littéraire, l'influence artistique de Kipling, ont eu déjà le temps de s'épuiser. Quelle puissance, quel sortilège ont donc assuré sa renommée à l'âge où d'autres sont encore à l'école? Mettons à part quelques circonstances heureuses. Il commençait d'écrire au moment où le symbolisme et l'esthétîsme dégoûtaient les hommes d'action, de courte pensée, d'immense énergie, qui peuplent l'Empire britan- nique. Walter Pater, prophète littéraire de l'époque, proposait comme idéal à la jeunesse le culte exclusif de la beauté intérieure : « Brûler toujours de cette flamme « au froid reflet, à l'éclat de diamant, maintenir cette < extase, voilà le succès de la vie. > On juge combien l'art émasculé des marchands d'extase devait plaire aux coloniaux ! La manière drue, courte, forte de Kipling, juste assez choquante pour les éveiller («CheekyBeggar»), pas assez brutale ni vraiment vraie pour les scandaliser, était d'une autre vertu pour le succès immédiat. Si jeune, si loin dans l'Inde qu'il fût alors, Rudyard Kipling ne manqua pas d'encouragements utiles. Le duc de Connaught, qui. commandait alors le district militaire de Lahore, s'intéressa vivement à ses premiers essais. On sait ce qu'en pareil milieu signifie une protection princière. Mais, ni réaction littéraire, ni faveur sociale n'expliquent, même accessoirement, l'explosion d'un pareil génie. C'est sans préparation apparente qu'il éclata, tel un phénomène JatoedbvGoOgk

148