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LES VOYAGEUSES AU XIXe SIÈCLE

moustaches, et nous aperçûmes, circulant au milieu d’eux, les vraies femmes, nues jusqu’à la ceinture, sans peigne et sans bijoux, et beaucoup plus vigoureuses et plus « mâles » que leurs époux. Les jupes et les chignons sont, à Ceylan, la propriété du sexe fort. »

Avec une infatigable énergie d’esprit et de corps, Mme Pfeiffer visita Colombo et Candy, les deux principales cités de l’île. Dans cette dernière, elle obtint de pénétrer dans le temple de Dagoba, où l’on garde précieusement une dent de Bouddha. Le lieu sacré qui la renferme est une étroite chambre plongée dans l’obscurité, car elle n’a pas de fenêtres, et un rideau retombe sur la porte pour exclure le moindre rayon du jour ; de belles tapisseries couvrent toutes les parois ; l’autel étincelle de plaques d’argent incrustées de pierres précieuses. Une riche boîte, en forme de cloche, en renferme successivement six autres de plus en plus petites, et dans la dernière est la fameuse dent, aussi grosse que celle d’un bœuf, ce qui laisse à supposer que le grand philosophe des Indous avait une monstrueuse mâchoire.

Le 30 octobre, Mme Pfeiffer arriva à Madras, et elle se rendit à Calcutta, la ville des palais, en remontant l’Ougly, un des sept bras du Gange. Sur Calcutta, cette ville de palais, elle ne nous apprend que ce que tant de voyageurs ont dit depuis. Pendant tout son voyage dans les Indes, elle éprouva une grande répugnance à se faire transporter en palanquin ; il lui semblait honteux de traiter les hommes comme des bêtes de somme. À l’opposé de la plupart des touristes dans l’Inde, elle voyageait sans suite, avec un seul domestique ; cependant elle put aller partout et voir tout ce qu’il y avait de curieux. On peut dire qu’elle réduisit ses dépenses à l’extrême minimum, en se soumettant, il est vrai, à des privations que d’autres trouveraient insupportables, mais qui ne lui paraissaient pas pouvoir entrer en balance avec les jouissances que ses voyages lui donnaient ; et elle vit du reste, grâce à cela, beaucoup de choses qui lui auraient échappé si elle avait suivi la méthode ordinaire des voyageurs plus exigeants dans leurs habitudes.

À Bénarès, elle vit les bazars, les temples et les palais, les colossals escaliers de pierre que descendent chaque matin cinquante mille fidèles pour aller se baigner dans le Gange en invoquant Brahma ; elle vit brûler les morts sur les rives du fleuve sacré ; mais ce qui la frappa le plus, ce furent les horribles tortures que s’imposaient volontairement les fakirs. Elle passa à Allahabad, à la jonction de la Djemnah et du Gange. Le fort de cette ville a une légende. Lorsque