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MADAME HOMMAIRE DE HELL

mon extrême satisfaction, qu’elle me recevrait aussitôt sa toilette terminée. Je comptai les minutes jusqu’au moment où un officier, suivi d’une vieille femme voilée, vint me prendre pour m’introduire dans le palais mystérieux.

« Chose convenue entre nous, mon mari essaya de me suivre, et, voyant qu’on n’y mettait nul obstacle, franchit sans plus de cérémonie la petite porte donnant entrée dans le parc, traversa ce dernier, monta hardiment sur une terrasse attenant au palais, et finit par se trouver, non sans être surpris de cette bonne fortune, dans un petit salon faisant partie des appartements intérieurs de la princesse. Mais tout se borna là. L’officier qui nous avait introduits, après nous avoir servi de l’eau glacée, des confitures et des pipes, vint prendre mon mari par main, et le conduisit hors du salon avec une promptitude significative. À peine eurent-ils disparu, qu’une portière soulevée au fond de la pièce donna passage à une femme d’une beauté éclatante, vêtue d’un riche costume, laquelle s’avança vers moi avec un air de dignité remarquable, me prit les mains, m’embrassa sur les deux joues, et s’assit à mon côté en me faisant mille signes d’amitié, avant que j’eusse le temps de me reconnaître. Elle portait beaucoup de rouge ; ses sourcils, peints en noir, selon la mode orientale, et réunis au bas du front, donnaient à sa physionomie quelque chose de sévère, sans nuire pourtant à la grâce toute féminine de son visage. Une veste en velours garnie de fourrures serrait sa taille encore élégante. Tout, dans son ensemble, surpassait l’idée que je m’étais faite de sa beauté. Nous restâmes plus d’un quart d’heure à nous considérer mutuellement, échangeant tant bien que mal quelques mots russes, insuffisants pour traduire nos pensées. Mais, en pareil cas, le regard supplée à la parole, et le mien dut faire comprendre à la princesse l’admiration que me causait sa vue. Quant au sien, je dois avouer humblement qu’il paraissait plus surpris que charmé de mon costume de voyage : il me vint même un véritable scrupule de m’être présentée à elle sous un vêtement qui devait lui donner une singulière idée des modes européennes.

« Malgré mon désir de voir ses filles, la crainte d’être indiscrète me décida à prendre congé d’elle ; mais un geste gracieux me retint, tandis qu’elle me disait avec beaucoup de vivacité : Pastoy ! Pastoy ! (attendez !) tout en frappant dans ses mains à diverses reprises. À ce signal, une esclave s’empressa d’accourir et d’ouvrir, sur l’ordre de sa maîtresse, une porte à deux battants.