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LES VOYAGEUSES AU XIXe SIÈCLE

les navires chargés de fleurs entraient au Pirée pour prendre part aux brillantes fêtes d’Athènes.

De Balaklava les voyageurs se rendirent à Sébastopol, dont Mme de Hell fait une excellente description, à laquelle les événements survenus depuis ont cependant ôté sa valeur. Mais celle de Bagtché-Séraï, l’ancienne capitale de la Chersonèse, qui, avant la conquête moscovite, luttait de richesse et de puissance avec les grandes cités de l’Orient, n’a rien perdu de son intérêt. La route qui y conduit est admirable, adossée à une chaîne de montagne et serpentant au milieu de villages et de vraies forêts d’arbres fruitiers en fleur. Partout des aqueducs, des ponts, des tours en ruines, attestent une civilisation disparue. Grâce à un ukase de Catherine II, qui permit aux Tartares de rester possesseurs de Bagtché-Séraï, la ville conserve de nos jours son originalité d’aspect. Elle n’est ni modernisée ni russianisée. En errant dans ses rues étroites, en visitant ses mosquées, ses boutiques, ses cimetières, on se sent en plein Orient, et dans les cours et les jardins de son antique palais on peut se croire transporté dans un « intérieur » de Bagdad ou d’Alep.

Ce palais a été chanté par le poète russe Pouchkine ; mais il est impossible d’en rendre le charme, qui semble avoir fait une vive impression sur l’imagination poétique de Mme de Hell. « Ce n’est pas une tâche facile, s’écrie-t-elle, de décrire la magie de cette demeure superbe et mystérieuse, où les khans oubliaient les épreuves et les douleurs de la vie. Je ne puis le faire comme pour un de ces palais d’Occident, en analysant le style, les détails, l’arrangement de sa splendide architecture, en déchiffrant la pensée de l’artiste dans la régularité, la grâce et la simplicité de ce noble édifice. Tout cela peut être aisément compris ou dépeint, mais il faut quelque chose du cerveau et du cœur d’un poète pour apprécier ces palais orientaux, dont le charme est moins dans ce qu’on voit que dans ce qu’on sent. »

Le séraï ou palais est situé au centre de la ville ; il est environné de murailles et d’un fossé, et remplit le fond d’une vallée entourée de montagnes d’inégale hauteur. En entrant dans la cour principale, on se trouve à l’ombre de lilas fleuris et de hauts peupliers, et l’oreille est frappée du murmure d’une fontaine qui chante sous des saules. Le palais proprement dit a extérieurement l’irrégularité de l’architecture orientale ; mais son défaut de symétrie disparaît pour celui qui contemple ses vastes colonnades, ses éclatantes peintures, ses pavillons légers et sa profusion de grands arbres. L’intérieur est une