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MADAME HOMMAIRE DE HELL

ils y ajoutent du lait, du beurre et du sel : le breuvage devient épais et d’un rouge terne. Mme de Hell, qui en avait goûté, le déclare détestable ; mais les Kalmouks disent qu’on s’y habitue facilement, et qu’on finit par le trouver délicieux. Il a du moins une qualité : en stimulant la transpiration, il sert d’excellent préservatif contre les rhumes. Les Kalmouks le boivent dans de petites sébiles de bois, rondes et plates, auxquelles ils attachent une extrême valeur. Mme de Hell en a vu qui étaient estimées deux ou trois chevaux ; elles sont faites en général de racines importées d’Asie. Il est inutile de dire que les Kalmouks ne connaissent pas les théières, et font leur thé dans de grandes marmites de fonte. Ce qu’ils goûtent le plus après le thé, ce sont les liqueurs spiritueuses. Avec le lait de jument ou d’ânesse, ils fabriquent une espèce d’eau-de-vie ; mais, comme c’est un faible stimulant, ils recherchent avidement les liqueurs russes, et, pour éviter les conséquences fatales de cette passion, le gouvernement impérial a interdit d’ouvrir des débits de spiritueux au centre des hordes. Les femmes ne sont pas moins avides que les hommes de ces mortelles boissons ; mais elles sont tellement surveillées par leurs seigneurs et maîtres, qu’elles ont bien peu d’occasions de satisfaire ce goût dépravé.

Chez les Kalmouks, comme chez tous les peuples d’Orient, le sexe fort traite avec mépris les soins du ménage et les abandonne entièrement aux femmes, qui travaillent, élèvent les enfants, tiennent les tentes en ordre, fabriquent les vêtements, préparent les fourrures de toute la famille et s’occupent des troupeaux. C’est à peine si les hommes condescendent à panser leurs chevaux ; ils chassent, boivent du thé ou de l’eau-de-vie, fument, et dorment étendus sur leurs tapis de peaux. Ajoutez à ces occupations habituelles quelques jeux, comme les échecs et les osselets, et vous aurez le tableau complet de l’existence d’un père de famille kalmouk. Cependant les femmes ne se révoltent jamais contre leur pénible besogne ; elles sont accoutumées à ce fardeau et le portent gaiement ; mais elles vieillissent de très bonne heure, et après quelques années de mariage, non seulement elles perdent toute beauté, mais leurs traits grossis et leurs corps robustes rendent extrêmement difficile de les distinguer des hommes, d’autant que le costume est à peu près le même.

Après le séjour à Astrakhan, la partie la plus dangereuse comme la plus difficile de l’expédition allait commencer. Il fallait emporter des provisions pour ne pas mourir de faim dans le steppe. Une escorte était nécessaire, et, pour la commander, le gouverneur d’Astrakhan