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MADAME HOMMAIRE DE HELL

La princesse permit même à sa fille et à son fils, un beau garçon de quinze ans, de danser à leur tour ; et la danse des hommes parut à Mme de Hell beaucoup plus animée et plus intéressante que celle des femmes. Un concert et des rafraîchissements terminèrent la réception. En sortant, les invités se rendirent à l’endroit où étaient les chevaux en liberté ; dès qu’on les aperçut, cinq ou six hommes à cheval s’élancèrent au milieu du taboon ou enceinte des chevaux, les yeux attachés sur le fils de la princesse, qui devait leur désigner l’animal qu’il fallait saisir. Sur un signal, ils enroulèrent leurs lassos autour d’un jeune cheval, à la crinière flottante, dont l’œil dilaté exprimait la terreur. Un kalmouk légèrement vêtu, qui suivait à pied, sauta sur le cheval, coupa les lacets qui garrottaient la bête furieuse, et engagea avec lui une lutte incroyable d’audace et d’agilité. Il était impossible d’imaginer un spectacle plus frappant. Parfois le cheval et le cavalier roulaient sur l’herbe, parfois ils fendaient l’air ainsi qu’une flèche, et s’arrêtaient brusquement comme si un mur se fût dressé entre eux. Tout d’un coup le cheval rampait sur le ventre ou se dressait de façon à arracher des cris d’effroi aux spectateurs ; alors il partait d’une course folle à travers la troupe effarée, cherchant par tous les moyens possibles à se débarrasser de ce fardeau inaccoutumé.

Mais cet exercice, si violent et si périlleux qu’il paraisse aux Européens, n’était qu’un jeu pour le Kalmouk, dont le corps suivait tous les mouvements de l’animal avec tant de souplesse, qu’on eût pu croire que tous les deux ne faisaient qu’un. La sueur ruisselait des flancs de l’étalon, et il tremblait de tous ses membres. Quant au cavalier, son sang-froid aurait couvert de confusion les plus habiles écuyers d’Europe. Dans les moments les plus critiques, il trouvait encore le moyen d’agiter son bras en signe de triomphe, et maintenait toujours sa monture indomptée sous les yeux des spectateurs. Sur un nouveau signe du prince, deux cavaliers qui suivaient de près ce hardi centaure l’enlevèrent de la selle et l’emportèrent au galop ; le cheval, rendu à la liberté, après un moment d’hésitation partit à toute vitesse pour se perdre au milieu des autres. Plusieurs cavaliers recommencèrent le même exercice, sans qu’un seul se laissât démonter ; le dernier fut un enfant de dix ans, qui, comme les autres, n’ayant pour point d’appui que la crinière du cheval, montra autant d’intrépidité héroïque. C’est donc dès leur enfance que les Kalmouks se plaisent à dresser des chevaux sauvages, et les femmes même ne restent pas étrangères à cet amusement.