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LES VOYAGEUSES AU XIXe SIÈCLE

de frères lais s’en détacha pour venir au-devant de votre père, en chantant un hymne de bienvenue. C’était très beau, et la splendeur de l’après midi ajoutait encore à ce tableau.

« Nous descendîmes de voiture en apercevant les Pères, et nous allâmes avec eux jusqu’à la grande arcade qui est à l’entrée du monastère. Là on fit un discours, puis nous fûmes introduits dans la grande cour, dont le couvent forme trois côtés. À gauche, devant une large véranda, étaient rangés tous les enfants des écoles, et derrière eux l’orchestre, oui, un véritable orchestre de dix-huit à vingt musiciens indigènes, l’un jouant d’une énorme contrebasse, les autres du violon, du violoncelle, etc. Ces jeunes artistes étaient très gentils, noirs comme le jais, mais intelligents, ayant une bonne apparence, d’une politesse parfaite, et se donnant de tout cœur à leur besogne. Il sont admirablement dirigés par un frère qui est bon musicien.

« Après l’inévitable God save the Queen, les enfants chantèrent des hymnes et quelques chansonnettes d’école de la façon la plus gracieuse ; alors on permit à tous les hommes de la mission de décharger leurs fusils en notre honneur, ce qui est leur suprême plaisir. Comme nous étions sur nos pieds, je ne m’inquiétai pas ; autrement je ne sais ce que nos chevaux auraient pensé de toutes ces décharges. Nous eûmes un souper délicieux, des lits excellents, et nous ne nous éveillâmes que le lendemain, en entendant une superbe cloche qui date du temps de Charles-Quint sonner les matines. Il est impossible de rien concevoir de plus admirable que la vie d’abnégation que mènent ces bons Pères, ni rien de plus encourageant que les résultats de leur mission depuis trente-cinq ans. Vous imaginez-vous à quel point il a dû être difficile au début d’attirer ces sauvages et de leur apprendre quelque chose ? Cette pensée fait trouver plus étonnante encore la vue de cette population industrieuse et civilisée dont les parents n’étaient par leurs habitudes guère au-dessus des animaux. Mais la persévérance, la bonté et une patience infinie ont accompli ce vrai miracle. Nous pûmes en juger pendant la longue et agréable journée que nous passâmes à visiter les écoles et les ateliers, les cottages propres et confortables, et enfin à assister à une grande partie de cricket jouée par les indigènes et les frères lais, dont la plupart sont Espagnols ou d’origine espagnole. Cela vous aurait amusé, et la rapidité avec laquelle les indigènes couraient vous aurait fait ouvrir de grands yeux… Auparavant, ces messieurs avaient fait une longue course pour visiter les champs et les vignes à l’autre extrémité de la