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LES VOYAGEUSES ANGLAISES

pins, des sommets où régnait l’hiver, menaçant de leur sévère aspect des vallées ravissantes, pleines d’eau et de feuillage, où chantait l’été… La nature, prodiguant ses splendeurs, semblait crier par toutes les voix de la grandeur, de la solitude, de l’infini et de la beauté sublime : « Seigneur, qu’est-ce que l’homme, pour que tu te souviennes de lui, et le fils de l’homme, pour que tu l’honores de tes visites ? »

Cependant les véritables difficultés de cette audacieuse entreprise apparaissaient à miss Bird dans toute leur réalité. Le pic même dominait l’endroit où ils se trouvaient : six cents mètres de roc nu et lisse offrant à peine quelques inégalités où il fût possible de poser le pied, et semé de plaques de neige glacée qui étaient un obstacle de plus à une ascension déjà presque impossible. Miss Bird n’avait pas le pied montagnard ; le vertige lui prenait facilement, et elle reconnaît qu’elle fut hissée au sommet du roc grâce à la force, à la patience et à l’adresse de Jim. En remontant une ravine profonde, ils débouchèrent sur une étroite plate-forme inégale et rugueuse, où ils respirèrent avant de faire le dernier effort et de gravir la pointe du pic, cône de granit dont les côtés étaient presque perpendiculaires ; le seul moyen était de se servir comme d’escalier de quelques fentes étroites ou de minimes saillies de granit, et c’était un véritable tour de force de gymnastique d’y parvenir en rampant sur les mains et les genoux. Fatiguée, torturée par la soif, respirant à peine, miss Bird triompha, et elle eut la satisfaction d’être la première femme à avoir atteint ce point élevé des montagnes Rocheuses.

La descente jusqu’au « Notch » ne fut ni moins laborieuse ni moins pénible, et quand ils se retrouvèrent au lieu de leur campement, miss Bird était absolument épuisée de fatigue et de soif. Mais une nuit de repos lui rendit toute son admirable énergie, et le lendemain matin elle se réveilla forte et ranimée, ravie d’avoir accompli cette extraordinaire entreprise et de jouir encore par le souvenir des beautés sublimes qu’il lui avait été donné de contempler.

Les « parcs », comme nous l’avons dit, sont d’immenses vallées herbeuses qui s’étendent dans la montagne à une élévation considérable ; elles servent de retraite à d’innombrables bêtes sauvages. Le livre de miss Bird offre tant de ravissantes descriptions de ces sites agrestes, qu’on ne sait sur laquelle arrêter son choix, et le lecteur qui voudrait se faire une idée exacte des montagnes Rocheuses n’aurait qu’à lire ce charmant petit ouvrage. On croit, en le feuille-